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2. Voyage initiatique ( 1709 - 1715 / De 21 à 27 ans ) |
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Couverture de "The Story of Swedenborg", Eric Sutton, illustration de Reginald Knowles, Londres, 1938. |
Alors qu'à l'étranger l'élargissement de l'horizon scientifique avait déjà nécessité une spécialisation de ses différentes disciplines, la Suède encore dominée par ses archaïsmes médiévaux et où la Renaissance n'avait pénétré ni pris racine que tardivement, possédait encore toute une phalange d'humanistes qui ignoraient toute spécialisation dont le zèle et l'intérêt embrassaient tous les domaines des sciences de leur temps. Cet universalisme avait aussi ses inconvénients, celui d'un certain éclectisme, celui aussi de déroger à la règle d'une expérimentation patiente et rigoureuse. De ce fait, cette génération de scientifiques, souvent précurseurs, laissa derrière elle une oeuvre souvent inférieure à l'ampleur de leur culture dans beaucoup de domaines. Erik Benzelius appartenait à cette catégorie d'humanistes. Ses travaux portaient à la fois sur la littérature, la philosophie comparée, l'histoire des Eglises, mais aussi la paléographie, l'archéologie nordique ainsi que les nouvelles branches des sciences naturelles et leurs applications. L'essor scientifique de cette "ère de la liberté" en Suède lui devra beaucoup pour son rôle important dans l'organisation des études à l'université d'Uppsala, et dans la fondation des premières sociétés scientifiques. Aussi connu à l'étranger que dans son propre pays, il était en relation avec toute l'Europe savante et c'est grâce à lui que bon nombre d'étudiants eurent les moyens et les recommandations qui leur permirent de continuer leurs études à l'étranger.
La situation de la Suède était catastrophique et n'offrait aucun avenir au jeune Emmanuel préoccupé de science et d'ingénierie. Son père qui avait lui-même voyagé en Angleterre, en France et en Allemagne, souhaitant le voir achever comme il se devait son cursus universitaire par un séjour d'étude à l'étranger, déposa une demande d'autorisation auprès du roi. Résolu d'apprendre tout ce qu'on pouvait lui enseigner dans les meilleures universités, soutenu dans ce dessein par Eric Benzelius qui l'avait muni de lettres de recommandations, ainsi que d'un certain nombre de missions scientifiques, il est impatient de partir. Les fonds alloués par son père pour son voyage s'étant avéré insuffisant, Benzelius lui prête en plus l'argent nécessaire. Le roi Charles XII, engagé dans une désastreuse campagne militaire contre la Russie, a vidé les caisses de l'Etat et appauvri tout le pays. Pour comble de malheur une succession de mauvaises récoltes a précipité le pays dans la famine, et l'épidémie de peste qui déferle sur toute l'Europe, y trouve un terrain plus que propice. Elle se répand d’ailleurs avec une ampleur sans précédent, faisant pendant plusieurs mois partout dans le pays d'amples moissons de morts. Les commerces et les ateliers sont fermés, les rues totalement désertées, des quartiers entiers ont été décimés. Rien qu'à Stockholm 20.000 personnes furent emportées, un tiers de sa population ! Les Danois en profitent pour attaquer le pays et leur flotte contrôle la mer, qui est d'autant plus dangereuse que les Anglais et les Français y sont aussi en guerre. Le jeune savant reste bloqué presque une année entière à la maison paternelle. Il s'ennuie et se désespère au point d'appeler à l'aide son seul véritable soutien, Erik Benzelius, pour le sortir de l'impasse où il se trouve. Il a le sentiment de perdre en vain son temps, pourtant loin de rester inactif il dédie tout son temps à l'étude et à l'écriture, apprend la reliure, se consacre à la poésie et à la musique où il fait de si rapides progrès qu'il lui arrive parfois de remplacer l'organiste de Skara. Il travaille sans cesse, de jour comme de nuit, et pour l'anecdote, grand amateur de café, il installe entre son cabinet de travail et les cuisines un conduit qui lui permet de commander à loisir ce précieux stimulant intellectuel qu'il boit sans modération. Il examine et reconstitue aussi un énorme squelette fossilisé, découvert dans les environs par son cousin Moraeus. Il l'expédie au musée d'Uppsala, pensant qu'il s'agit des restes d'un géant remontant à l'époque médiévale. Il y est identifié par les autorités comme un squelette de baleine, ce qui semblait, dans le contexte des connaissances de l'époque, encore plus étrange et mystérieux. Pensez donc, un squelette de baleine fossilisé à plus de 200 kilomètres des côtes ! Cette découverte initiale, suivie par celles de nombreux autres fossiles marins, l'amènera à proposer plus tard, pour la première fois, la thèse d'après laquelle la Suède aurait autrefois été couverte par un vaste océan. Le père d'Emmanuel et Benzelius, finirent à force d'insistance, par convaincre le célèbre génie inventeur, Christopher Polhammar, d'accepter le jeune prodige comme élève. Le nom de "Polhammar" sera, lors de son anoblissement, plus tard transformé en "Polhem". Orphelin dès son jeune âge, il révéla très tôt une étonnante aptitude à réparer, concevoir et construire toutes sortes de machines. Pauvre et sans éducation, il résolut d'apprendre le latin, la langue savante qui donnait alors seule accès aux études et aux sciences. Son destin bascula le jour où le chapelain du domaine où il travaillait lui demanda de construire une horloge. Le jeune apprenti lui proposa aussitôt d'en construire une capable de sonner toutes les heures, les demi-heures et les quarts d'heures et même d'afficher le jour et la date, à condition qu'il accepte de lui enseigner le latin. Il put faire ensuite des études à l'académie d'Uppsala et devint rapidement célèbre pour ses inventions et ses nombreux travaux d'ingénierie. Il était capable, sans aucun dessin préalable, de construire toutes sortes de nouvelles machines. Il appliquera ce don remarquable entre autre à l'industrie minière et métallurgique, principale ressource économique de la Suède, inventant par exemple une machine capable d'extraire le minerai, de l'acheminer jusqu'à la fonderie, de verser les barils et de les renvoyer dans les puits en une opération unique, avec la seule force de l'eau. Le jeune Swedenborg avait une grande admiration pour Polhem et avait à coeur de publier un ouvrage qui décrirait toutes ses inventions avant, disait-il, qu'il ne lui arrive quelque chose. Nous verrons combien Polhem jouera plus tard un rôle majeur pendant tout le début de sa carrière. Polhem venait finalement d'accepter de recevoir "Heer Emanuel Swedberg", juste au moment où ce dernier parvint, non sans précipitation et malgré les dangers, à s'embarquer avec un téméraire capitaine en partance pour l'Angleterre. En ce printemps 1710, le jeune et ardent Emmanuel n'aspire plus qu'à une chose, partir découvrir le monde dans toute sa diversité, respirer à pleins poumons cet air de liberté qui souffle dans les grandes capitales européennes. S'il veut partir en quête de la nouvelle science, le jeune homme, qui a maintenant 23 ans, aspire aussi à découvrir l'amour, un amour libre de la pression du milieu, de la morale et du mariage. Ce premier long et grand voyage de découverte et d'étude débordera largement la traditionnelle année sabbatique de fin d'études, puisqu'il durera cinq longues années. Pendant la traversée vers l'Angleterre, ma vie fut quatre fois mise en danger, écrit-il à Benzelius. « Le navire pris dans d'épaisses brumes s'échoua sur un banc de sable, au point que la situation sembla un moment perdu. Nous fûmes ensuite abordés par des pirates français et le lendemain, c'est un navire britannique à la poursuite des pirates qui, par méprise, tira sur nous au canon ». Arrivée à Londres la goélette suédoise est assignée à une quarantaine de six semaines à cause de l'épidémie de peste. De jeunes amis suédois vinrent aborder le navire en barque et persuader l'impétueux et naïf jeune homme de passer outre la consigne, pour débarquer tout de suite avec eux. L’affaire s’ébruita et un avis de recherche fut immédiatement lancé à l'encontre du dangereux briseur de quarantaine, aussitôt arrêté par la police. Il n'échappa à la pendaison que de justesse, en grande partie grâce à ses lettres de recommandation et à l'intervention de quelques relations suédoises à Londres. |
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Une vue panoramique de Londres, anonyme, 18ème siècle. |
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Le Londres où il séjourne est une toute nouvelle cité fraîchement reconstruite sur les cendres d'un gigantesque incendie. A cette époque Londres, avec son demi-million d'habitants, était la plus grande capitale d'Europe et une des plus cosmopolites, toutes les races du monde y étaient représentées. Beaucoup de richesses s'y concentraient et la ville affichait luxe et grandeur. La cité était en même temps terriblement bruyante, noircie par la fumée de charbon et envahie par les odeurs pestilentielles qui émanaient des latrines, des égouts et des diverses décharges. Toute la misère du monde s'y concentrait également, les rues étaient plutôt dangereuses et certains quartiers infréquentables une fois la nuit tombée. Malgré ces inconvénients, le Londres de cette époque était le lieu en Europe où de loin la liberté d'expression était la plus grande. Le jeune homme est pour la première fois de sa vie livré à lui-même, seul dans le grand monde. Ses états d'âme alternent entre ivresse de liberté, soif de savoir, isolement et vertige de l'inconnu. Il a quelques amis suédois, mais il s'ennuie de ses proches et de son pays natal qu'il était pourtant si impatient de quitter. C'est une période difficile, où s'ajoute au dépaysement et au décalage culturel, le mur d'une langue qui lui est étrangère. Mais le jeune savant ne manque pas de ressort, il consacre tout son temps à l'apprentissage de la langue et à l'étude, approfondissant ses connaissances en algèbre et en géométrie supérieure, il se passionnant par-dessus tout pour la mécanique et l'astronomie. Peu fortuné, il loge chez des artisans et les aide dans leur travail, mettant à profit leur expérience et leur savoir-faire pour enrichir ses connaissances dans toutes sortes de domaines. Il logera et travaillera successivement chez un horloger, un ébéniste, puis un fabricant d'instruments scientifiques. Les instruments scientifiques étant à cette époque extrêmement rares et onéreux, il se donne ainsi les moyens de pouvoir construire lui-même ses propres outils, en particulier, microscope et lunette astronomique. Il dévore littéralement à peu près tous les ouvrages scientifiques qu'il peut trouver dans les librairies et les bibliothèques de Londres, s'intéressant tout particulièrement à ceux de Newton. Après ses travaux d'atelier la journée et ses longues heures d'études, il parvient encore à lire, pour se distraire, les auteurs et les poètes anglais. « Il y d'éminents poètes anglais qui valent d'êtres lus, dira-il, pour le seul génie de leur imagination, tel que Dryden, Spenser, Milton, Shakespeare, Ben Jonson et bien d'autres. » Après quelques mois, il parle un anglais suffisant pour comprendre ce qui se dit et a engrangé suffisamment de connaissances pour pouvoir aborder les savants qu'il rêve de pouvoir rencontrer. Il se met à fréquenter mathématiciens et astronomes et se lie d'amitié avec le célèbre astronome royal d'Angleterre, le Rev. John Flamsteed, directeur de l'observatoire de Greenwich. Flamsteed ne tardera pas à reconnaître le brillant esprit du jeune savant et à l'associer étroitement à ses travaux de recherche. Le télescope de l'observatoire tout nouvellement perfectionné, va pour la première fois lui dévoiler l'éblouissant spectacle des espaces intersidéraux et de leurs champs infinis d'étoiles scintillantes de mille feux. C'est cette vision qui lui fera plus tard postuler l'existence d'une multiplicité quasi infinie de mondes galactiques et planétaires, plus de 200 ans avant leur découverte irréfutable. Benzélius vient de fonder une société scientifique à Uppsala, ses membres se réunissent régulièrement pour débattre sur la recherche. Ils y discuteront souvent des sujets que le jeune savant développe dans les courriers qu'il envoie régulièrement à Benzelius, qui charge en retour son dévoué émissaire d'un certain nombre d'enquêtes auprès des scientifiques anglais. Parmi les nombreux sujets débattus citons l'amusante note de son ancien professeur d'astronomie à Uppsala : "la nouvelle théorie de Newton concernant l'existence improbable d'une force gravitationnelle qui ferait qu'un corps planétaire tournerait en orbite autour d'un autre, semble totalement irrationnel et relever davantage de l'abstraction que de la physique ! ... » Il le chargera aussi de faire l'acquisition pour eux de divers ouvrages et instruments scientifiques : microscopes, téléscopes, globes terrestres, quadrants, prismes, etc. Il échouera dans sa tentative d'acquérir un globe terrestre, objet alors précieux et rarissime, que les Anglais ne voulurent pas le laisser acquérir. Refusant de se laisser débouter il se met à la gravure sur cuivre afin de reproduire les cartes de mémoire, en vue de reconstituer le globe de retour au pays, et de pouvoir aussi illustrer lui-même ses publications scientifiques. |
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Swedenborg passera, pendant la première année de son séjour en Angleterre, une grande partie de son temps à assister Flamsteed à Greenwich près de Londres. Il y développe plusieurs méthodes pour l'observation des planètes, de la lune et des étoiles ainsi que pour le cacul des longitudes. A cette époque le problème se posait de pouvoir déterminer la longitude en mer. C'était vital pour l'Angleterre, la France et l'Allemagne dont le commerce maritime était en train de s'étendre à toutes les parties du globe. |
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Salle Octagone de l'observatoire royal de Greenwich où Swedenborg devint assistant du directeur, anonyme, 18ème siècle. |
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Ces gouvernements offraient une forte récompense à celui qui trouverait la meilleure solution et les scientifiques planchaient un peu partout sur ce problème. Le jeune et présomptueux savant invente alors une méthode pour calculer la longitude terrestre à partir de l'observation de la lune, étude qui lui tiendra à coeur toute sa vie et qu'il ne parviendra jamais, malgré tous ses efforts et de nombreuses tentatives, à faire vraiment reconnaître. « Votre grande bonté à mon égard, écrit-il à Benzelius, me fait espérer que par vos lettres et vos avis vous déciderez mon père à me donner les fonds qui me sont indispensables ». Swedenborg a en effet bien de la peine à se loger et se nourrir sans l'argent que son père ne daigne plus lui envoyer. Celui-ci utilise pourtant sans retenue, pour ses entreprises personnelles, l'héritage laissé par sa première femme, Sarah Behm, à ses enfants. Il dépense en effet de large somme d'argent pour publier toutes sortes de livres d'Eglise, écrivant lui-même tant d'ouvrages que la maison d'imprimerie qu'il avait créé à Skara tombait régulièrement en panne de papier. Son intérêt pour l'argent n'est pas nouveau, mais son attitude montre ici à quel point son père faisait peu de cas des études scientifiques de son fils qui au fond le dérangeaient. A moins qu'il ne pensa que cela ne lui ferait peut-être pas de mal de vivre une certaine pauvreté ? Emmanuel sera, grâce à l'intervention et à l'insistance de Benzelius, finalement autorisé à percevoir une part des revenus générés par les hauts-fourneaux dont sa mère était la propriétaire légataire. L'argent tant attendu arrivé, il peut enfin réaliser son projet d'aller à Oxford. Il y découvre une tout autre Angleterre que celle de Londres, bruyante et nauséabonde. Séjournant six mois dans ce magnifique havre de paix, haut lieu de culture et de liberté, il ne s'y intéressera pas seulement aux sciences. Une dédicace de sa composition, poétique et enflammée, dédiée à une jeune et belle poétesse et chanteuse, montre qu'il en est tombé fortement amoureux. Il lui fait une cour qui ne laisse aucune ambiguïté sur la nature de ses sentiments et de son désir pour elle. Si cette relation a été sa première expérience amoureuse, elle a dû certainement remuer en profondeur le jeune Emmanuel. Cette rencontre a peut-être aussi été une première initiation aux jeux de la séduction, des plaisirs sensuels et de l'amour. Cette possible idylle n'aurait en tous les cas pas duré plus de six mois. Swedenborg souffrait d'un certain complexe, du fait peut-être de sa taille plus petite que la moyenne, de son crâne et de sa tête en longueur, de son visage totalement imberbe, et plus encore du fait de son bégaiement. Contrairement à son père taillé comme un géant, quoique lui-même robuste et de bonne santé, c'est un homme bien plus glabre et féminin. Comme sa mère, c'est un être sensible, fin et sensuel, d'une nature plutôt discrète, à qui il peut pafois arriver de souffrir d'une certaine timidité. A Oxford comme à Londres, il fréquente des mathématiciens et vit une rencontre importante avec le célèbre astronome, Edmond Halley, qui le confirme dans la fiabilité de sa méthode de calcul des longitudes. Mais déception, de retour à Londres, il rencontre à ce sujet une incrédulité générale. Pire, son statut d'étranger, sa jeunesse alliée à sa difficulté de langage et son insistance, ennuient et agacent même. Il finira par trouver ces Anglais, "polis mais arrogants", et renoncera finalement à les convaincre. Débouté par un amour éphémère, épuisé par ses intenses spéculations et travaux d'études, déçu par le peu de crédit qu'il a trouvé, il est découragé. Il se réfugie un moment dans la poésie puis décide, après avoir envoyé la plus grande partie de ses livres et de ses instruments en Suède, de partir pour la France. Quoiqu'il en soit, ce séjour de seize mois en Angleterre aura profondément transformé Swedenborg. Il lui aura ouvert l'esprit, bien au-delà de ce qui était possible en Suède. Il l'aura mis en contact avec de nombreux penseurs et scientifiques, parmi les plus renommés dans le monde. Il lui aura fait apprécier aussi l'importance vitale de la liberté d'expression et d'édition. Ce séjour initial jouera un rôle déterminant sur tout le début de sa carrière scientifique. A travers lui il scellera sans le savoir un lien privilégié et indéfectible avec la capitale londonienne et la culture anglaise, lien qui perdurera toute sa vie durant et même bien au-delà. A son oncle Benzélius il écrit : « Je serai, Dieu voulant, en France dans trois ou quatre mois, car j'ai le vif désir d'en comprendre la langue si commode et élégante ». Il passe finalement plus de cinq mois en Hollande, où après un court séjour à Amsterdam, il visite les principales villes du pays. Impressionné par le splendide observatoire de Leyde où se trouvent les meilleurs artisans polisseurs de lentilles d'Europe, il y apprend à polir des verres de télescopes et se dote de tous les outils et instruments nécessaires pour ce travail. Il partagera son premier séjour en France entre Paris et Versailles. Arrivé à Paris, il tombe malade et reste alité pendant six semaines. A peine guéri il part à la découverte de la capitale mythique et, comme en Angleterre se met aussitôt en quête de faire la connaissance des hommes les plus savants de ce pays. Il y fréquente l'abbé Bignon, un des hommes les plus cultivés de son temps, qui est impressionné par son travail. Celui-ci l'introduit auprès du célèbre mathématicien Paul Varignon, qui lui fait rencontrer l'astronome de La Hire puis Cassini. Ici non plus le jeune et enthousiaste savant ne semble pas convaincre. Sa méthode de calcul des longitudes, à laquelle il manque malgré tout, et de son aveu même, des éphémérides lunaires précises et complètes, ne sera que bien plus tard reconnue effectivement correcte. Comme il saura le faire tout au long de sa vie, face à l'indifférence, l'incompréhension, les mauvaises volontés et les obstacles, il rebondira toujours de la même façon. En se retirant dans sa cellule de travail pour se consacrer avec une ardeur et une intensité redoublées et d'une façon quasi ascétique, à de nouveaux projets. Projets qui porteront à chaque fois plus loin sa vision et sa propension à s'imposer comme un maître dans tous les domaines qu'il abordera, quitte à bousculer les conventions et les hiérarchies bien établies. De retour en Hollande, il reçoit un courrier de son père qui lui enjoint de rentrer le plus rapidement possible afin d'entrer en carrière et de se rendre enfin utile à son pays, qui a plus que jamais besoin de ses pupilles. La plaisanterie semble avoir assez duré, plus de quatre années déjà, d'autant que ses voyages et ses élucubrations scientifiques lui coûtent cher ! Il est plus que temps pour lui de rentrer afin de se mettre au travail, insiste son père. Swedenborg ne se pressera pas davantage, mettant presque une année avant de revenir au pays. Il échoue dans son espoir de rencontrer à Hanovre le grand mathématicien et philosophe Leibnitz qui en était absent juste à ce moment-là. Swedenborg sera très influencé par la philosophie de ce grand maître et cette rencontre ratée est un coup du destin qui a certainement un sens. Qu'en aurait-il été si la rencontre avait eu lieu ? Nul ne le sait, peut-être en aurait-il rien découlé de déterminant, mais peut-être aussi beaucoup de choses. Il se tournera avec passion vers la philosophie, tout spécialement à la fin de sa période scientifique. Il s'arrête quelques mois dans le charmant petit port de Rostock où il relâche la tension accumulée durant tous ces derniers mois. Reposé, il rassemble et complète ses recherches et travaux de ces dernières années en vue de les publier dès son retour. Afin de donner des preuves de son travail et de son génie, il envoie à son père un étonnant catalogue de 14 inventions avec autant de planches de dessins réalisées par ses soins, et accompagnées de descriptions détaillées. Il en adresse la liste à Benzelius, se faisant une joie de pouvoir prochainement présenter ses inventions devant la petite société scientifique d'Uppsala. |
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Il énumère : |
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Notes et plan de l'aile volante de Swedenborg, 1730. |
Le jeune savant est dans la grande ivresse de pouvoir tout apprendre, tout savoir et à peu près tout inventer. Il est persuadé que dès son retour son génie lui ouvrira toutes les portes pour le faire accéder à une carrière dont il rêve. Ce n'est pas tout à fait faux, mais il devra tempérer son idéalisme et s'armer de beaucoup de persévérance et d'obstination pour se frayer un chemin dans un monde où rien ne se donne facilement et où tout ne s'acquiert que par un lent et patient travail d'influence. Le roi domine une société très hiérarchisée où le rang et l'ancienneté passent bien avant le génie et les compétences, surtout lorsqu'ils ont tendance à bousculer les idées reçues et l'ordre établi. Mais pour l'instant Swedenborg est encore loin de tout cela, il est dans l'enthousiasme de tout ce qui vient de s'ouvrir à lui à travers cette épopée fugueuse de cinq années, et de tout ce qu'il ramène de cette première et longue pérégrination savante. Toutes les publications que le jeune savant fera paraître au retour de son voyage sont des oeuvres littéraires et poétiques. Mais ne nous méprenons pas, depuis longtemps déjà, Swedenborg est complètement investi dans les nombreux domaines de la recherche scientifique avec un net penchant pour l'astronomie, et s'il n'a encore publié aucun traité, c'est qu'il se consacre presque exclusivement à parfaire ses connaissances. Arrivé en juin 1715 en Suède, il fait paraître à Greifswald, ville alors suédoise où il séjourne quelques mois : « Les jeux d'Hélicon, ou poèmes divers », Greifswald, 1715. Il s'agit de morceaux composés par l'auteur en vrai poète philosophe au cours de son voyage. Il y publie encore la même année : « La muse boréale, jouant avec les exploits des héros et des héroïnes, ou fables similaires à celles d'Ovide », Greifswald, 1715. Il s'agit, sous la forme de vingt-deux fables allégoriques, de satires qui traitent des événements politiques arrivés en Europe ces quinze dernières années. Cet ouvrage d'une centaine de pages sera sa dernière oeuvre littéraire, sur une douzaine de publications diverses qui s'échelonnent de 1700 à 1715 et qui comprennent, en plus des trois ouvrages mentionnés, divers poèmes, essais, odes, éloges et dédicaces. Cette année 1715 va marquer un tournant majeur, il a 27 ans et le moment est venu pour lui d'entrer dans la vie active. Il abandonne désormais tous ses travaux littéraires pour se consacrer exclusivement aux sciences et à l'ingénierie.
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