6. Métanoïa

(1743 - 1747 / 55 ans à 59 ans)


     Au cours de ces trois années, de 43 à 45, tandis qu'il est à l'étranger en train de publier son oeuvre anatomique, Swedenborg traverse une profonde crise intérieure. Après avoir pendant plus de dix ans patiemment et laborieusement gravi la montagne pour en atteindre son ultime sommet, il réalise que celle-ci ne faisait qu'en cacher une autre, dont le sommet disparaît dans les cieux.

    L'esprit de Swedenborg était jusqu'alors celui d'un scientifique, entraîné aux constructions abstraites et aux méthodes exactes, pour lesquelles le domaine de l'intuition mystique et visionnaire était considéré comme quelque chose de vague et d'occulte. Il n'attendait jamais de ses lecteurs qu’ils croient ce qu'il disait, mais qu'ils puissent toujours le comprendre, et il ne prétendait pas à ce moment avoir plus de connaissances dans ce domaine que n'importe qui d'autre.

    Discutant la forme que l'âme pourrait avoir après la mort, il écrit :

   « Cela nous ne pouvons pas plus le savoir que l'humble ver à soie qui, en tant que chenille se nourrit des feuilles et qui, son labeur achevé, est transformé en une chrysalide dont s'envole un papillon. La raison pour laquelle son état futur est de nos jours ignoré et la raison pour laquelle ce qui était bien connu autrefois, en des jours plus éclairés, est à présent fragmentaire et obscur, c'est que la sagesse doit descendre d'en haut dans l'âme par influx et qu'un tel influx ne peut opérer dans un esprit où les feux de l'amour de soi et des plaisirs sensuels dominent et où le désir de pouvoir brûle ardemment. »

    Il ne pouvait pas mieux dire car ce n'est seulement qu'en s'engageant lui-même sur une voie de renoncement et de purification qu'il parviendra à atteindre ces nouveaux sommets de l'esprit qui viennent de lui apparaître.

   Lors de son premier voyage en Angleterre, à 21 ans, Swedenborg n'avait pu manquer de s'intéresser à un courant philosophique connu comme celui des "platoniciens" ou "néo-platoniciens" de Cambridge. Ils ne pouvaient supporter l'austère formalisme religieux, pas plus que la théologie prosélyte et rudimentaire des sectes religieuses, et pas davantage la vision mécaniste de l'univers de certains intellectuels comme Hobbes. Ces penseurs et savants voulaient réconcilier raison et religion jusqu'au plus haut niveau. Ils trouvèrent une parfaite intégration de ces deux approches chez Platon et surtout dans l'interprétation qu'en faisait Plotin. En bref, l'essentiel de leur conviction est que la raison aspire à une vision unifiée de l'univers et non à celle d'un tout esprit ou d'un tout matière, d'un tout Dieu ou d'un tout non Dieu, tandis que la religion comme la science rationaliste n'offraient que celle d'un univers coupé en deux. Le mysticisme de Platon et de Plotin, comme celui des Upanishad hindoues, disait que de Dieu, source incréée, émane et rayonne - à partir de l'inconnaissable - toute chose, jusqu'à la matière qui en est l'émanation la plus éloignée. Ces platoniciens chrétiens professaient que la Trinité n'était que l'expression des différents niveaux d'émanation du seul et même Dieu.

    Swedenborg avait lu avec beaucoup d'intérêt, John Norris (1657-1711), un disciple d'Henry More et une des têtes de file de ce mouvement, présent à Oxford au moment où il y séjourna plusieurs mois. Sa curiosité n'avait pu manquer de le pousser à s'intéresser aux autres auteurs de ce mouvement de pensée et on trouve dans son oeuvre scientifique et philosophique déjà certains éléments d'influences liés à cette école philosophique. Le fait de considérer le domaine de l'âme comme le plan intermédiaire entre le fini et l'infini et certainement aussi par le grand nombre de triades que l'on trouve dans toutes ses thèses. Mais ce n'est que bien plus tard, autour de 53 et 54 ans qu'il sera rattrapé par les enseignements de cette école qui avaient frappé son esprit dans sa prime jeunesse. La plus haute mission du néoplatonisme était de combattre le fait de s'appuyer uniquement sur la connaissance empirique pour développer une philosophie de la révélation. Partout dans l'histoire, dans les traditions et les rites religieux de toutes les nations on trouve des révélations divines. La seule bénédiction qui puisse combler le coeur et l'esprit des hommes doit être recherché dans une sphère plus haute que celle de la raison. L'Etre Suprême, souvent nommé l'Un, ne peut être atteint que par "l'extase" car Dieu lui-même est au-dessus du plan de la raison, il est supra-rationnel. Les néoplatonociens disaient qu'il existe trois mondes, le plus élevé étant celui du Divin, le second celui des idées archétypales et de l'âme, le troisième celui de l'homme et du monde naturel. Il est certain que l'on peut inscrire Swedenborg et son oeuvre dans l'arborescence néoplatonicienne et plus particulièrement dans cette ramification, contemporaine de son temps, des néoplatoniciens de Cambridge, tant les éléments d'affinités sont évidents. Il suffit de considérer le titre des ouvrages de tous ces auteurs pour réaliser à quel point nombre de ses préoccupations et publications s'inscrivent dans une même sphère d'esprit. Swedenborg pourtant, certainement soucieux de son indépendance d'esprit et ne souhaitant être assimilé à aucun mouvement ni aucune école, ne le mentionnera jamais.

Néoplatonisme

Ecole philosophique née à Alexandrie au IIIe siècle après J-C, qui se réclame de Platon et dont le fondateur, Plotin (205-270 après J-C), disciple d'Ammonios Sakkas, enseigna à Rome. C'est son disciple, Porphyre (234-305), qui édita les écrits de ce dernier : "les Ennéades", et qui rédigea après la mort de son maître une vie de Plotin (vers 301), que nous pouvons lire encore aujourd'hui. « Souvent lorsque je m'éveille à moi-même en sortant de mon corps, et qu'à l'écart des choses je rentre en moi, je vois une beauté d'une force admirable » (Plotin, Ennéades, traité IV, 8). Les soixante-trois traités que comportent les Ennéades décrivent les niveaux de réalité qui vont de l'expérience humaine jusqu'à l'Un. Conformément à l'enseignement socratique, la sagesse, voir le salut, demeure le but de cette philosophie qui tend vers la mystique, se donnant pour fin ultime l'union avec le Principe originel divin. Plotin avait des extases mystiques, et considérait la pratique religieuse comme indigne du sage, qui doit être capable d'atteindre Dieu directement par l'élévation spirituelle de son être et de sa pensée. Elle se développera jusqu'au VIe siècle, son dernier représentant sera Damascios (450-538), du vivant duquel l'école philosophique d'Athènes sera fermée sur ordre de l'empereur Justinien I, en 529. Les philosophes d'Athènes s'exileront en Perse. Fondée sur l'idéalisme de Platon par opposition au réalisme d'Aristote, cette école philosophique intègre des éléments de mystique d'influence juive et orientale. Ces enseignements auront une influence considérable, tant sur l'islam, le soufisme, la gnose, l'hermétisme, la kabbale juive, l'alchimie et l'ésotérisme chrétien. Ils influenceront le christianisme tout au long de son histoire, des évangélistes en passant par les Pères de l'Église, des théologiens médiévaux jusqu'à la Renaissance et l'avènement du rationalisme avec les néoplatoniciens de Cambridge. Le néoplatonisme repose sur une théorie de l'univers en tant qu'émanation et manifestation d'un principe créateur Un et universel, Bien suprême. L'Un comme la Création qui en est l'image, l'expression, se décline en trois principes correspondant à trois niveaux de réalité fondamentalement différents mais pourtant profondément et indissociablement intriqués. Le domaine de l'âme humaine et de l'esprit est le plan intermédiaire qui fait le lien et qui unit le plan divin avec l'humain, d'où une voie à la fois intellectuelle et mystique, visant à la contemplation et la connaissance directe de Dieu.

Néoplatonisme de Cambridge

Les "Platoniciens de Cambridge" désignent un groupe de philosophes du XVIIe siècle, membres de l'Université de Cambridge et qui compte parmi ses membres : Benjamin Whichcote (1609-1683), considéré comme le fondateur de ce mouvement ; Henry More (1614-1687), qui exercera une profonde influence sur la philosophie naturelle de Newton ; Ralph Cudworth (1617-1689) ; Peter Sterry (1613-1672) ; John Smith (1618-1652) ; Nathaniel Culverwell (1619-1651) ; John Worthington (1618-1671) ; Lady Anne Conway (1631-1679). Ils ont pensé une philosophie alternative tant à l'aristotélisme, alors déclinant, qu'à celles de Thomas Hobbes et de René Descartes. Contrairement aux autres philosophes de leur époque, ils avaient un fort intérêt pour la théologie et étaient convaincus de la compatibilité entre la foi et la raison. Leur optimisme sur la nature humaine se reflétait dans l'accent mis sur la libre volonté ou le libre arbitre ainsi que sur l'exercice de la liberté humaine ce qui les a amenés à s'opposer au déterminisme. Ils pensaient que les hommes étaient imprégnés par le principe éternel de vérité et de justice auquel l'esprit humain pouvait accéder à travers la raison et la morale. « Il existe une substance incorporelle et en l'homme, nous l'appelons l'âme. Cette âme humaine subsiste et agit après la mort de son corps, dans cet état, elle n'est pas soustraite à la destinée, au contraire, elle n'est vraiment parfaite et à l'abri que lorsqu'elle a obtenu un corps éthéré, car elle est alors hors d'atteinte de ce principe de mort », Henry More.

    A la suite de sa première grande publication en trois volumes : « Travaux philosophiques, et minéralo-giques », (1734), Swedenborg publiera encore deux autres ouvrages scientifiques majeurs, de cinq volumes en tout, dans le domaine de l'anatomie : « Fonctionnement du règne animal » (1740-1741), et « Le règne animal » (1744-1745). Pendant cette période extraordinairement féconde de dix années, il rédigera aussi de nombreux autres ouvrages et traités, certains même volumineux, qu'il ne publiera jamais. La plus grande partie d'entre eux ne le seront qu'à titre posthume bien après sa mort et le plus souvent en anglais. Certaines de ces oeuvres posthumes prendront bien plus tard parfois plus d'impor-tance que celles publiées de son vivant, ses trois volumes sur le cerveaux par exemple, et d'autres traités comme sa "Clé hiéroglyphique".

    L'ensemble de ces travaux touche trois grands domaines : celui des sciences, en particulier ici de l'anatomie, celui de la philosophie et de la théologie. Parmi les nombreux manuscrits posthumes qui s'échelonnent sur cette période d’une douzaine années (1734-1745), citons dans le domaine anatomique :

   « Du mécanisme du corps et de l'âme » ; « Observations sur le corps humain » ; « Trois études sur le cerveau » , 3 vol., le deuxième est uniquement constitué de planches anatomiques ; « Des muscles en général » ; « De la peau et de la langue » ; « Du sang rouge » ; « Du mouvement » ; « Des sens, et des passions du corps » ; « Anatomie du corps, du périoste, des seins, des organes génitaux, des organes des cinq sens, de la formation intra-utérine du foetus » ; « Le Cerveau, du point de vue anatomique, physique et philosophique » ; « Des cinq sens, de leur influx dans l'âme et de leur action » ; « Des muscles de la face et de l'abdomen ».

    Dans divers domaines scientifiques :

    « Philosophie corpusculaire en résumé » ; « Déclinaison de l'aiguille » ; « Philosophie universelle, définition et mathématique », il s'agit d'une tentative de définir ce que Leibnitz appelait un langage mathématique universel ; « Mathématique et physique, en résumé » ; « Mélanges en minéralogie, anatomie, chimie, psychologie, pathologie, etc. » ; « Le Livre de la Nature de Jean Swammerdam », qui traite surtout des insectes et des petites créatures aquatiques.

    Dans les domaines de la philosophie, de la métaphysique et de la théologie :

    « La foi dans le Christ » ; « La voie d'une connaissance de l'âme » ; « De la foi et des bonnes oeuvres » ; « De la divine providence, de la prédestination, de la destinée, de la bonne fortune et de la prudence humaine » ; « Transaction première sur l'harmonie de l'âme et du corps » ; « De l'origine et de la génération de l'âme » ; « De l'âme des animaux » ; « Ontologie ou signification des termes philosophiques » ; « Adversaria en métaphysique » ; « Divers philosophes et théologiens », il s'agit d'un volumineux résumé des vues et doctrines des plus éminents philosophes ; « Clé hiéroglyphique des arcanes naturels et spirituels d'après les représentations et les correspondances » ; « Des correspondances et des représentations dans les Ecritures Saintes ».

    On trouve, dans les titres de cette dernière catégorie, de très nombreux termes et concepts que l'on retrouvera plus tard dans son oeuvre théologie, et cela bien avant ses premières visions et révélations de 1744 et 1745.

    Entre ses 46 et 56 ans il aura donc rédigé plus d'une trentaine de traités et publié une dizaine de livres plutôt volumineux. C'est considérable, surtout si l'on ajoute à cet énorme travail de rédaction, son emploi comme assesseur des Mines, sa participation aux affaires de l'Etat, ses cinq années de voyage à travers l'Europe et certainement beaucoup d'autres choses. Swedenborg n'est pas un contemplatif mais bien plutôt un hyperactif, travaillant sans cesse, ne s'accordant que quelques heures de sommeil par nuit. Il n'a pas de vie de famille et bien qu'ayant connu plusieurs aventures amoureuses et tenté par trois fois au moins de se marier, il est finalement resté seul, ce qui, ajouté à sa bonne fortune, lui a permis de pouvoir se dédier corps et âme à ses travaux de recherche, d'étude et de publication.

    On peut se demander comment il est possible de rédiger une moyenne d'un ouvrage par saison. Il faut dire qu'il écrivait d'un trait sans presque jamais revenir en arrière pour corriger, reprendre ou modifier son texte. La plupart du temps il commençait par écrire une table des matières, pour en écrire ensuite d'un seul trait tous les chapitres les uns après les autres. Lorsque de l'un de ses livres était sous presse, il était bien souvent déjà en train d'en achever un autre. Il lui arrivait aussi parfois de rédiger ses pages en même temps que les presses tournaient, n'ayant que quelques feuillets d'avance. Tout ceci sous-tend un certain nombre de préalables, d'abord une prodigieuse force de travail, associée à un mental surpuissant, quasi extralucide, doté d'une mémoire colossale. Sans cesse en mouvement, dans une constante et intense interactivité avec l'extérieur autant qu'avec l'intérieur de lui-même, son esprit était dans un état de perpétuel "brain storming".

    C'est au cœur de cet énorme maelström intellectuel et spirituel qu'il va faire ses premières expériences supra-mentales. En témoigne un curieux journal des rêves qui va du mois de juillet 1743 à celui d'octobre 1744 et qui fut retrouvé tout à fait par hasard il y a une centaine d'années seulement. Ce précieux document jette une lumière soudaine autant qu'inattendue sur cette période absolument cruciale de sa vie qui ne s'achèvera que trois années plus tard avec la publication, en 1745, de son livre au titre évocateur : « Du culte et de l'amour de Dieu ».

   La porte du monde invisible commence à s'entrouvrir pour lui et ses premières expériences de visions et de révélations vont le précipiter dans une transformation profonde, radicale et totale. Ce n'est pas le même homme qui ressortira trois ans plus tard de cette traversée intérieure, qui va le voir passer de l'étude de l'anatomie à celle de la Bible, du règne de la science et de la philosophie à celui de la théologie et de la mystique.

   Il a 55 ans et son père spirituel, Erik Benzelius, vient de mourir. Il démissionne du Bureau des Mines, revend toutes ses concessions minières, et achète une petite maison à Hornsgatan, et il est en train de travailler avec ardeur à la publication de son oeuvre anatomique. Se doute-t-il seulement qu'elle sera sa dernière publication scientifique ?

    C'est à n'en point douter une année de profonds boulversements pour Swedenborg. C'est au coeur de cette crise qu'il se met à noter ses rêves, des rêves au début, somme toute relativement communs, lorsque quelque chose de tout à fait nouveau surgit pour la première fois sous sa plume. En remontant le fil d'Ariane de ses rêves, cherchant constam-ment à en comprendre le sens, il débouche sur un domaine d'expérience nouveau et inattendu.

 
   
 
Le livre des rêves de Swedenborg, 1743-1744.
 
 

   Par le pouvoir de ses rêves, allié à celui de la prière et de la contemplation, il se rapproche du sacré. Rapprochement qui va prendre pour lui la forme d'une rencontre avec le Christ qui va profondément l'ébranler et avoir des répercussions considérables sur son destin.

    Rappelons que ce petit cahier de notes, souvent succinctes, écrites dans un style quasi télégraphique, n'a jamais été destiné à être lu et publié par qui que ce soit. Retrouvé par miracle, et publié pour la première fois en 1859. C’est un des rares documents dont la recherche dispose, pour nous renseigner sur cette période si cruciale de sa vie.

   Le cahier commence par quelques pages datées de l'été 1743. On y trouve d'abord une liste hétéroclite d'itinéraires de voyages, de rêves et de notes sur sa vie intérieure. Au numéro 9 de cette liste nous trouvons la mention suivante :

    « Comment je fus "in extasibus vigilibus" presque tout le temps. »

    Cet "Extasibus vigilibus" traduit par "extase éveillée", est la toute première mention d'une telle expérience dans ses écrits. Nous sommes au point exact où se produit le fameux "shift of consciousness", "changement, ou basculement de conscience", c'est le moment où a jailli l'étincelle.

    Il est surprenant de ne voir apparaître ce terme nulle par ailleurs dans ses écrits, sinon que dans ce journal des rêves, et ceci bien que de nombreux témoins attesteront plus tard de ses transes extatiques régulières.

    A l'alinéa 11 il note :

    « Comment je découvris que depuis que j'étais arrivé à la Haye, mes penchants et l'amour propre que j'ai pour mon travail étaient passés, choses dont je m'émerveillais tout seul. »

    A quels penchants fait-il ici allusion ? :

    « Je m'étonnai de ne plus être porté sur le sexe, comme je l'ai été toute ma vie. Comment mon penchant pour les femmes, qui avait été ma passion principale, cessa si rapidement. »

(août 1743)

    Nous ne sommes pas surpris par cette discrète et unique confidence, elle confirme une évidence qui ressort de sa biographie. Plus loin dans son cahier il y a des rêves érotiques qui ne laissent aucun doute sur le fait que, si Swedenborg ne s'est point marié, il n'en est pas pour autant resté chaste, c'est un homme qui aimait les femmes et les plaisirs.

    Ces premières extases, qui renouent avec ses expériences d'enfance, opèrent en tous les cas de profondes transformations en lui. Ses notes ne reprennent qu'au mois de mars de l'année suivante avec de nouveaux rêves :

    « Je vis une procession d'hommes magnifiques, si bellement parés que je n'ai rien vu de plus beau, mais ils disparurent bientôt. C'était, je crois bien, l'expérience qui est à présent en pleine floraison. »

(30-31 mars 1744)

    Il est conscient que quelque chose est en train de s'ouvrir et de grandir en lui. Il continue plus loin :

    « Le matin il me sembla que je chevauchais, et on me montra vers où, mais quand je vis, il faisait noir ; découvris que dans les ténèbres je m'étais égaré, vis la route ainsi que des bois et des bosquets où je devais aller, et derrière eux, le ciel.

    Me réveillai ; alors il me vint comme d'elle-même une pensée sur la vie terrestre qui est la première vie, et à la suite sur l'autre vie, et il me semblait que tout était empli de grâce.

    Je fus pris d'un sanglot parce que je n'ai pas aimé, mais presque davantage encore parce que j'étais fâché que l'on m'eût mené et montré le chemin du royaume de toutes grâces, et que j'eusse, moi indigne, été pris en grâce. »

(3-4 avril 1744)

    « Le jour de Pâques, la tentation dura presque tout l'après-midi. Il y avait une angoisse comme si l'on eût été damné et en enfer. Pouvoir a été donné au Méchant de répandre l'inquiétude au plus intime de nous par diverses pensées. Je me couchai vers 9h, la tentation, accompagnée de tremblements, dura jusqu'à 10h30. Alors j'eus un sommeil où toute ma tentation me fut représentée, me sollicitant de diverses façons pour m'entraîner de son côté (luxure, richesse, vanité), mais je m'y opposais avec d'autant plus d'obstination.

 
   

 

   Puis je m'endormis et il apparut toute la nuit comment d'abord je m'étais joint à d'autres de diverses façons en tout ce qui avait été péché ; puis comment j'étais mêlé à tout par de merveilleux et indescriptibles mouvements circulaires, en sorte que toute la nuit je fus initié d'étrange manière.

    Puis je me réveillai et me rendormis maintes fois et tout était réponses à mes pensées, mais de telle manière qu'en toutes choses, il y avait une telle vie et une telle splendeur que je ne peux le décrire le moins du monde, car tout était céleste ; clair pour moi à ce moment-là, mais impossible ensuite d'en rien exposer.

    En un mot, c'était dans le Ciel et j'entendais des paroles que nulle langue humaine ne saurait exprimer avec cette vie, cette splendeur qui en découlait, et ce délice profond.

   En outre j'étais éveillé comme dans une extase céleste, chose qui est également indescriptible. J'avais aussi en mon esprit et dans mon corps comme un sentiment d'indescrip-tible bonheur, en sorte qu'eût-elle été plus haute, le corps se fût pour ainsi dire dissous de pure joie. »

(5-6 avril 1744)


                                                                                                           

 
 
"Le rêve de Jacob", Rembrandt,1640.
 
 

    Il note encore le lendemain :

    « J'eus la grâce toute la journée d'être dans de profondes pensées spirituelles, profondes et belles comme je n'en ai jamais eu. C'était l'oeuvre de l'Esprit que je découvris en moi tout ce jour-là.

    Le soir, je fus soumis à une autre sorte de tentation, quand je lisais les miracles que Dieu fit par l'intermédiaire de Moïse, dont sans doute je riais en esprit, je croyais et je ne croyais pas, ma foi n'était pas ferme. A 10 h je me mis au lit, mais une demi-heure après, j'entendis du bruit sous ma tête, je pensai que c'était le tentateur qui s'en allait. Aussitôt je fus saisi par de puissants frissons dans la tête et dans tout le corps, avec un certain fracas et ce plusieurs fois. Je découvris qu'il y avait sur moi quelque chose de sacré. Sur ce je m'endormis, vers minuit je fus saisi d'un très grand frisson de la tête aux pieds, avec un fracas comme celui de plusieurs vents qui s'affrontaient, qui me secoua de manière indescriptible et qui me jeta face contre terre. Tandis que j'étais prosterné, j'étais complètement éveillé à ce moment-là, je me vis jeté à bas, me demandant ce que cela pouvait signifier.

    Je parlais comme si j'étais éveillé, mais découvris toutefois que les mots étaient comme miens dans ma bouche. Je m'écriais alors : « Oh Christ tout-puissant, toi qui dans ta grande miséricorde daigne venir à moi qui suis un si grand pécheur, rends-moi digne de cette grâce ! » Je joignis les mains et priai, alors apparut une main qui pressa fortement les miennes. Au moment même je me retrouvais dans son sein et je le vis face à face. Son visage, empreint de sacré, avait une expression et un sourire indescriptibles. Il me demanda : « As-tu ton passeport sanitaire ? ». Je lui répondis : « Seigneur tu le sais mieux que moi ». « Eh bien aime-moi vraiment et fais ce que tu as dis ! » dit-il. Convaincu que cela était au dessus de mes forces, je répondis : « Dieu donne m'en la grâce ! ». Je me réveillai frissonnant en m'interrogeant sur ce qui venait de se produire, était-ce vraiment le Christ, le fils de Dieu que j'avais vu ?

   Comme il est prescrit que l'on doit éprouver les esprits, je réfléchis à tout cela et découvris à propos de ce qui s'était passé que toute la nuit j'avais été purifié, entouré et gardé par l'Esprit Saint. Ensuite vers l'aube je me rendormis, me vinrent alors de saintes pensées, mais de telle nature qu'elles sont insondables car je ne peux le moins du monde les rendre sous ma plume non plus que ce qui se passa. »

(6-7 avril 1744)

    Le "passeport sanitaire" est un certificat de non contagion délivré après une quarantaine. Il rappelle un événement vécu 33 ans auparavant lors de son tout premier voyage en Angleterre, lorsqu'il faillit être pendu pour ne pas avoir respecté la consigne de quarantaine obligatoire à bord du navire qui le transportait. Ne se trouve-t-il pas de nouveau à la frontière d’un nouveau continent, celui d'un autre monde ? Mais est-il suffisamment purifié et dépouillé de lui-même pour pouvoir pénétrer dans cette nouvelle dimension ?

    Le surlendemain il écrit encore :

    « Cette nuit-là, je dormis tout à fait tranquillement. Je me réveillai et restai éveillé mais comme dans une vision, si bien que j'étais en état de veille quoique ce fût en esprit. C'était une joie intérieure perceptible dans tout le corps. Je voyais de façon ineffable comment tout s'ouvrait, tout s'envolait pour ainsi dire et se cachait dans quelque chose d'infini, s'étendant de là alentour pour redescendre en d'incompréhensibles cercles jusqu'au centre, qui était l'amour même.

    Cet amour ressemble au plaisir qu'éprouve un homme chaste lorsqu'il se trouve dans un véritable amour avec son épouse, car une sensation d'extrême plaisir était répandue dans tout mon corps. Je vis que la joie réelle et intime vient de là et qu'autant on peut s'y maintenir, autant de bien-être on éprouve. Que dès que l'on entre en un autre amour qui ne se concentrât pas là - comme un quelconque amour pour soi - on sort aussitôt de la bonne voie, on en est exclu. Ensuite je découvris en esprit que ce qui part du centre lui-même, qui est amour, c'est l'Esprit Saint, représenté par l'eau. »

(9-10 avril 1744)

Le lendemain il décrit le rêve suivant :

    « Je vis dans une tribune beaucoup de gens assis, et voici ! Un fort courant d'eau descendit à travers le toit, avec une telle force qu'il brisa tout ce qu'il rencontrait. Il y en avait qui bouchaient la brèche pour que cela ne coule pas, d'autres qui se tenaient à l'écart pour que l'eau ne les atteigne pas, d'autres qui la déviaient pour la détourner de la tribune. C'était, je crois bien, la force de l'Esprit Saint qui s'infiltrait dans mon corps et mes pensées. J'en ai obstrué une partie et détourné une autre, car ces gens signifient mes pensées et mes intentions. »

(10-11 avril 1744)

    « J'eus pendant 12 heures un sommeil surnaturel. L'esprit parvint si haut, jusqu'à une vie céleste quasi extatique. Il me laissa y monter de plus en plus haut, en sorte que fussé-je monté plus haut, j'eusse été dissous dans cette véritable vie de félicité. »

(14-15 avril 1744)

    « Il me semblait que je grimpais à une échelle pour sortir d'un grand abîme. »

(15-16 avril 1744)

    « Finalement il me fut donné par la grâce de l'Esprit d'avoir la foi sans raisonnement et d'être assuré en elle. Je voyais mes pensées comme en-dessous de moi ce qui confirmait le fait et en mon coeur je riais d'elles. Je riais beaucoup plus encore de celles qui les ébranlaient et qui leur étaient contraires, car la foi semblait être loin au-dessus des pensées de ma raison. Ainsi, cette foi est séparée de notre entendement et se tient au-dessus de lui, car l'entendement ne va pas plus loin que jusqu'aux probabilités, et les justifications de notre entendement sont toujours soumises au doute qui obscurcit la lumière de la foi, mais la foi est uniquement un don de Dieu. C'est alors seulement que j'eus la paix. »

(18-19 avril 1744)

    Dans les évangiles "métanoïa" est le mot grec qui est généralement traduit par "conversion", bien mieux rendu par son sens plus littéral de "renversement", de "retournement". Le mot désigne aussi la "métamorphose" de la chenille en papillon à travers sa chrysalide. C'est à un véritable basculement de conscience et de valeur auquel nous assistons, qui va entraîner avec lui une transformation profonde de tout son être.

    Cette "métanoïa" représente bien plus que la seule rencontre avec le Christ. A travers elle s'opère le passage d'un mode de conscience normal, mental, à un mode de conscience supra-normal, supra-mental. Il fait l'expérience de ses premières extases ainsi que de ce qu'il nommera plus tard "la pensée spirituelle", mode de conscience et de pensée qui relève de l'ordre de l'ineffable, de l'inexprimable. Notons que c'est un mode de conscience auquel tous les chamans et les mystiques du monde accèdent depuis toujours, signe d'un éveil à des niveaux de consciences supérieures. L’extase, nommé "Samādhi" dans les yogas hindous, correspond à la dernière étape de la voie, au cours de laquelle le pratiquant réalise l'Ātman, "la réalité ultime". Dans le bouddhisme le "Samādhi" signifie « établissement dans l'éveil ».

    En entrant dans la lumière de cette présence christique il se sent terriblement impur et indigne. Il comprend à quel point il est encore dominé par l'amour de lui-même et par un grand nombre d'illusions. A présent habité par un profond sentiment de reconnaissance et d'humilité il commence à voir les choses de l'intérieur, démystifiant à son regard un grand nombre de fausses valeurs. Il réalise à quel point la constante recherche de plaisir, de pouvoir et de richesses, est illusoire et superficielle. Il va devoir renoncer à beaucoup de choses qui l'encombrent et qui l'alourdissent, se dégager des influences négatives qui l'éloignent de l'essentiel. Il va lui falloir s'engager dans la "sādhana", la pratique de la voie spirituelle selon l'hindouisme, avant de pouvoir atteindre le plein accomplissement.

    Cela lui semblera d'abord insurmontable mais il y parviendra finalement, au prix de terribles combats. De plus en plus absent du monde extérieur, de ses incessantes intrigues et mondanités, il se retire dans sa "chambre haute" afin de prier, de jeûner et de méditer la Parole. Abandonnant peu à peu le domaine de ses spéculations et de ses recherches scientifiques, il découvre que la vision et la foi qui lui ont été données, se passent totalement de sa propre raison ! Se tournant de plus en plus vers la dimension intérieure, les portes du monde invisible s'ouvriront finalement d'une façon complète, et avec elles celles d'une connaissance totalement nouvelle. Il va parvenir, malgré les difficultés et les obstacles, à se transformer, pour devenir le réceptacle transparent d'une connaissance divine, angélique, qui ne passe plus ni par les sens, ni par la raison, mais qui descend littéralement d'en haut.

    C'est dans ces circonstances intérieures qu'il abandonne ses projets de publications anatomiques, laissant cette grande oeuvre inachevée et sa promesse annoncée d'un ultime volume sur la nature de l'âme humaine sans suite.

    Il publie par contre, dans la foulée de ses nouvelles expériences, un ouvrage inspiré qui marque le point de rupture définitif d'avec le seul discours de la raison et de la science, et le début d'une approche ici visionnaire et allégorique, plus tard théologique et mystique.

    Au printemps 1745, son nouvel ouvrage a pris forme et son titre lui est même inspiré en rêve :

    « Du culte et de l'amour de Dieu. », deux volumes, Londres, 1745.

    Cette oeuvre de transition qui marque le passage entre sa période scientifique et sa période théologique, se présente sous la forme d'une fable allégorique sur le thème de la création. Ecrit dans un style poétique il ne ressemble à aucun autre de ses écrits sinon peut-être qu'aux oeuvres poétiques de sa jeunesse. Il s'agit d'un saisissant commentaire des premiers chapitres de la Genèse où le savant décrit l'origine des planètes, l'apparition des règnes successifs, minéral, végétal, animal et humain et présente une théorie complète de l'évolution et de l'histoire de l'humanité. « Par le premier-né est entendu, dit-il, non un individu mais la conscience de toute l'humanité dont elle décrit ensuite l'histoire et la destinée. Il s'agit d'une symphonie où science, philosophie et poésie s'allient pour exalter une création ayant l'amour pour cause et le bonheur comme fin ultime. Cet oeuvre est comme une synthèse de tous ses travaux antérieurs qui contient en même temps en germe de nombreux enseignements qu'il ne développera que plus tard. A noter qu'il n'y fait, contrairement à tous les ouvrages qui suivront, aucune référence explicite aux Ecritures Saintes, ni à ses expériences dans le monde spirituel.

    Le troisième volume devait s'intituler :

    « Troisième partie, du culte et de l'amour de Dieu. De la vie maritale du double premier-née. »

    Le couple primordial dans son état d'intégrité est une image de la fin ultime de toute la création. Toutes choses, des premières aux dernières, conspirent à la gloire du Créateur dans seul le but de former un royaume céleste, une société sainte qui serait comme un corps dont il serait l'âme.

    Tandis qu'il est à faire imprimer la troisième partie de cette oeuvre, il fait l’expérience d’une vision qui va totalement renverser le cours de sa vie.

    C'est au mois d'avril encore de l'année suivante, (1745), qu'il dira avoir vécu l’expérience décisive, rapportée ici par son cher ami et voisin, Carl Robsahm, qui lui avait demandé quand et comment il avait reçu ses premières révélations :

 
 

    « J'étais à Londres et je dînais très tard dans mon auberge accoutumée, où je m’étais réservé une pièce afin de pouvoir y méditer en toute liberté sur des choses spirituelles. J’avais grand faim et je mangeais avec un vif appétit.

    Sur la fin du repas une sorte de brouillard envahit mon champ de vision, tout devint sombre et je vis le plancher de ma chambre se couvrir d’horribles créatures serpentesques et rampantes. J'en fus d’autant plus saisi que j'étais en pleine possession de mes sens et que mes idées étaient claires. L’obscurité se mit à grandir davantage puis soudainement se dissipa, je vis distinctement un homme assis dans un angle de l'appartement au sein d'une vive et radieuse lumière. Les reptiles avaient disparu avec les ténèbres. J’étais seul, aussi vous pouvez imaginer l’effroi qui me prit lorsque j'entendis l’homme me dire d'une voix propre à inspirer la frayeur, prononcer les mots suivants : "Ne mange pas tant ! ".

    A ces mots ma vue s’obscurcit de nouveau. Elle se rétablit toutefois peu à peu et je me retrouvai seul dans la chambre. Quelque peu consterné par ce que j'avais vu, je m'en retournai en toute hâte chez moi sans souffler mot à qui que ce fût de ce qui m'était arrivé. Là je me livrai à mes réflexions réalisant que cela ne pouvait avoir été l'effet d'une quelconque cause naturelle. »

   
         
     
Un passages de son journal spirituel où Swedenborg fait allusion
à son expérience visionnaire de Londres.
 

 

 

   Cette vision, rapportée par deux de ses amis, peut paraître un peu étrange. Elle comporte en tous les cas quelques points de contacts avec la tradition néo-testamentaire. Les disciples ne reconnaissent tout d'abord pas leur maître lorsque celui-ci se manifeste à eux après sa crucifixion, et certains sont effrayés. Il y a la vision aussi de l'apôtre Pierre : « Ayant faim il voulut prendre son repas ... il lui survint un ravissement d'esprit, il vit le Ciel ouvert ... une voix lui fut adressée : lève toi, tue et mange ... »

    Il est évident que l'injonction : « Ne mange pas tant ! » a ici une valeur hautement symbolique. Dominé par un insatiable appétit de connaissances et de découvertes dans tous les domaines possibles, qui lui aurait fait avaler toutes les bibliothèques du monde s'il l'avait pu, ne doit-il pas renoncer à cet appétit de savoir scientifique, pour se tourner vers la seule et unique source de connaissance divine ?

    « La nuit suivante l'homme rayonnant de lumière m'apparut une seconde fois. Il me dit : "Je suis le Seigneur Dieu, le créateur et le rédempteur de ce monde. Je t'ai élu pour interpréter le sens interne des Ecritures aux hommes. Je te dicterai ce que tu devras écrire." Cette fois je ne fus pas du tout effrayé et la lumière dont il était entouré bien que très vive et très éclatante ne me fit aucun mal aux yeux. Il était vêtu de pourpre et la vision dura environ quinze minutes.

    C'est cette nuit même que les yeux de mon homme intérieur furent ouverts, qu’ils furent propres à voir dans les Cieux, que le monde des esprits et les enfers me furent pleinement ouverts. Je retrouvai partout de nombreuses personnes de ma connaissance, de toutes conditions, les unes mortes depuis longtemps, les autres depuis peu. Chaque jour il ouvrit les yeux de mon esprit pour me donner de voir dans l'autre monde et de converser avec les esprits et les anges, en plein éveil. A partir de ce jour je renonçai à toute occupation profane pour ne plus me consacrer qu'à des choses spirituelles et me conformer aux directives que j'avais reçu du Seigneur. »

   Soulignons que ces témoignages indirects, rapportés très a posteriori, ne peuvent être qu'approximatifs et fragmentaires.

    On observe le franchissement de plusieurs seuils différents dans cette expérience qu'il nous dit être "en pleine floraison". De ses rêves, il passe à des expériences spirituelles d'un type d'abord abstrait, du genre : "j'étais mêlé à tout par de merveilleux mouvements circulaires", ou : "j'étais éveillé comme dans une extase indescriptible". De là il passe à des expériences plus formelles du type : "je vis le plancher de ma chambre se couvrir d'horribles créatures ", ou : "je vis un homme assis au sein d'une radieuse lumière". Enfin de ces expériences visionnaires il passe à un niveau d'expérience encore différent : "les yeux de son homme intérieur furent ouverts de façon à voir dans le monde spirituel et converser avec les esprits et les anges en pleine conscience". Aucunes de ces expériences ne sont absolument nouvelles, on en trouve de nombreux témoignages dans toutes les grandes traditions. Par contre c'est la puissance et la constance de ce pouvoir de "double vision" qui, comme nous le verrons plus loin, dérroge totalement à la norme. Swedenborg représente en cela une très rare exception.

    Suite à cette vision il interrompt la publication de son troisième volume pour s'en retourner, après une longue absence de presque deux années, l'été suivant en Suède. Il reprend pour un temps son poste au Bureau des Mines, entreprend des travaux sur la maison qu'il avait acquise avant son départ pour s'y installer au printemps 1746. Ce lieu va jouer un rôle majeur pendant tout le reste de sa vie car c'est dans cette simple demeure agrémentée d’un vaste jardin qu'il rédigera la plus grande partie de son oeuvre théologique.

   C’est au mois de juillet 1747, alors qu'il lui est offert de prendre la présidence du Bureau des Mines, qu’il démissionne de son poste d'assesseur, au grand regret de tous ses collègues qui s’attendaient à le voir honorer avec bonheur cette ultime fonction présidencielle. Selon les termes d’un de ses biographes, Ersnt Benz : "ses publications scientifiques lui avait données une renommée européenne. Les revues savantes de tous les pays parlaient de chacune de ses nouvelles publications, et les académies lui ouvraient toutes grandes leurs portes. Jamais il n’avait été aussi proche de réaliser son rêve d’être accueilli dans l’Olympe de l’Europe savante".

    Mais, au tournant de son admission dans "les royaumes célestes", il tourne définitivement le dos à ses brillants et prodigieux travaux scientifiques, et se retire de toute activité professionnelle et mondaine, pour ne plus se consacrer qu’à la lecture, l'étude et la méditation des textes bibliques, dans la lumière de ses nouvelles révélations. Sa nouvelle mission qui, dit-il alors, consiste à nous dévoiler le sens spirituel, jusqu'alors resté caché, de la Parole Divine, pour nous en révéler les profonds et merveilleux enseignements.

    Evoquons à cette occasion le bel éloge prononcé dans la Maison des nobles au nom de l'académie des sciences de Stockholm le 7 octobre 1772, par Mr. de Sandel, six mois donc après la mort de Swedenborg :

 
   

    « Permettez-moi de vous entretenir aujourd'hui sur un homme illustre par ses vertus, célébré par l'étendue de ses connaissances dans tous les genres, qui vous fut très connu et très cher, enfin sur un des plus anciens membres de cette académie. A ces traits vous reconnaîtrez feu Mr. Emmanuel Swedenborg, Assesseur au Collège Royal des Mines. La considération que nous avions tous pour ce grand homme, l'affection que nous lui portions, m'assure du plaisir et de la satisfaction que vous aurez à entendre parler de lui.

    Heureux si je remplis en partie le désir que vous avez de voir rappeller cet homme cher à vos coeurs d'une manière digne de sa glorieuse mémoire. La tâche est difficile. Le plus habile peintre a bien de la peine à saisir la ressemblance de certaine personnes, combien moins est-il aisé de tracer et d'exprimer à vos esprits un génie vaste, sublime et laborieux, qui ne s'est jamais reposé, et ne s'est jamais lassé même dans son application aux sciences les plus profondes et les plus épineuses. Qui pendant plusieurs années a fait d'utiles efforts pour dévoiler les mystère de la nature, s'est ouvert et frayé un chemin pour arriver à certaines sciences, et tenté enfin de pénétrer dans le sanctuaire des plus grands secrets. Qui a conservé toute la force de son génie malgré la décadence de l'enveloppe de l'âme, que les autres éprouvent sur la fin d'une longue carrière où si peu d'hommes arrivent. »

 

 
 

 

 

     
   
     
Le chalet d'été où Swedenborg se retirera souvent pour méditer et travailler.
Crayon et encre, artiste inconnu, 20ème siècle.
 

 


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