1. Enfance d'un visionnaire
 ( 1788 - 1709 / De 0 à 21 ans )
  

 

    « Emmanuel Swedberg » naît à Stockholm, capitale de la Suède, le 29 janvier 1688. Du fait du passage du calendrier julien au calendrier grégorien, adopté en Suède en 1753, la date de sa naissance serait pour nous celle du 9 février 1688.

    Lorsque la reine de Suède anoblira sa famille, le nom de « Swedberg » sera changé en « Swedenborg ». Par commodité et selon une habitude adoptée par de nombreux biographes nous utiliserons son nom de famille, « Swedenborg » lorsque nous parlerons de lui. Par ailleurs "Emanuel" en suédois s'écrit avec un seul m et c’est la façon dont il signait son nom, tandis que l'orthographe française l'écrit "Emmanuel" avec deux m, ce qui est plus proche de sa racine hébraïque où il signifie : « Dieu parmi nous », « avec nous », ou « en nous ».

 
       
 
"Le chemin sinueux conduit plus haut",
Reginald Knowles, 1938.
   
       
 
    Nous prendrons soin de développer la vie de Swedenborg en veillant à l'inscrire autant que possible dans le contexte de son pays et de son temps ainsi que de son environnement social et familial. Quel aurait été en effet le destin des Swedberg sans la famille royale ? Qui aurait pu être Swedenborg sans ses deux "pères" et ses deux "mères" ? Quel sens son oeuvre pourrait-elle avoir hors de son contexte historique et culturel ? Swedenborg, sa vie et son oeuvre, ne prennent tout leur relief et tout leur sens qu'à l'intérieur de cet ensemble dans lequel elles s'inscrivent et dont elles sont une expression, une "cristallisation" particulière.  
 
 

    Né il y a plus de 325 ans dans la toute nouvelle Europe dite des "Lumières", Swedenborg vivra près d'un siècle sous le règne de six souverains successifs. Siècle des Lumières marqué par la naissance de la philosophie moderne et le tout nouvel avènement des sciences, qui entraînera le début de la révolution industrielle en Occident. Notons que la Révolution française, qui suit de peu la mort de Swedenborg, initira l'avènement des démocraties modernes et l'institution des Droits de l'Homme. C'est dire combien il s’agit d’une époque majeure dans l'histoire récente des civilisations.

    Toutes ces révolutions sont le fait de l'émergence soudaine d'une nouvelle conscience, d'un nouveau sens de la liberté, d'une toute nouvelle façon de penser qui aspire à s'affranchir du poids de la religion, de la toute-puissance de l'Eglise, de ses dogmes et de son clergé. Ce changement total de paradigme va entraîner de nombreuses et profondes transformations dans l'ensemble de l'Europe et du Monde pour finalement enfanter, au 20ème siècle, les temps modernes. Swedenborg participera non seulement à toutes ces révolutions, mais il en sera un des grands maîtres d'oeuvre.

   Au temps de Swedenborg, en Suède comme en Europe et en Amérique, les activités quotidiennes n'étaient pas très différentes de celles d'aujourd'hui. Les gens s'habillaient, se nourrissaient, allaient travailler, faisaient leurs courses et entretenaient des relations sociales. Sauf que toutes ces actions représentaient beaucoup plus d'efforts et de temps que de nos jours. Les espaces d'habitation étaient généralement petits, on se chauffait au bois et on s'éclairait à la lampe à huile ou à la bougie.

   La Suède est un pays nordique qui connaît de longs hivers avec plusieurs mois d'enneigement et des périodes de très grand froid. La vie sociale et quotidienne était beaucoup plus dépendante du rythme du soleil et des saisons qu'elle ne l'est de nos jours. Les maisons d'habitation, généralement construites en bois, étaient plutôt petites et rustiques, il n'y avait ni réseau électrique, ni eau courante, ni tout-à-l'égout. Pour peu que l'on habite à distance des lieux de commerce il fallait prévoir en plus des réserves d'eau et de bois, des provisions de nourriture suffisantes pour les longues périodes d'hiver où il était parfois impossible de sortir ou de se déplacer. Mieux valait à ces moments-là ne pas avoir besoin d'un médecin d'urgence. Les déplacements entre les maisons, à plus forte raison en zone rurale, se faisaient rarement de nuit et pouvaient parfois s'avérer fatals. Même à Stockholm il arrivait que des gens meurent gelés en allant d'une maison à une autre de nuit.

   Les conditions de vie et de travail étaient beaucoup plus dures que de nos jours et la plus grande partie des gens étaient généralement beaucoup plus pauvres que nous ne le sommes. Tous les travaux se faisaient manuellement car le moteur n'avait pas encore été inventé. On se déplaçait à pied, à cheval, dans le meilleur des cas en calèche, sur des chemins ou des pistes de terre souvent chaotiques. La traversée des cours d'eau se faisait à gué lorsque c'était possible, sinon en barque ou en bac car les ponts étaient plutôt rares. La traversée des mers et des océans se faisait à la rame et à la voile. Les déplacements étaient longs et éreintants, entièrement soumis aux aléas des intempéries et du froid.

    Il n'y avait pas d'école publique et beaucoup ne savaient ni lire ni écrire. Ils vivaie nt de la façon dont les hommes vivaient depuis des siècles, un mode de vie simple et souvent joyeux où le sens de la solidarité était puissant, il fallait unir les forces de tous pour pouvoir simplement survivre. 75% des Suédois vivaient dans les campagnes et étaient fermiers, 8,5% étaient soit ouvriers, soit artisans dans les villes, ou mineurs dans les mines de fer et de cuivre, principale industrie et source de revenu de la Suède à cette époque. Seule une toute petite partie de la population, issue de la noblesse, du clergé ou des classes bourgeoises, avait accès à l'éducation et à la culture. De plus la langue officielle des théologiens et des universitaires en Europe était le latin, incompréhensible pour la plupart des gens du peuple.

   Né du mariage de Jesper Swedberg et de Sarah Behm, Emmanuel sera le troisième enfant d'une grande famille de huit enfants, quatre frères et quatre soeurs. Un petit frère en plus décèdera l'année de sa naissance, alors que le jeune Emmanuel n'avait que trois ans. Les grands-parents de Swedenborg, autant du côté de son père que de celui de sa mère naturelle, et plus tard aussi de sa belle-mère, étaient tous de riches propriétaires miniers. Son père, pasteur luthérien a 35 ans et sa mère, mariée à l'âge de 17 ans, en a 22 lorsqu'elle donne naissance au petit Emmanuel. Sa mère, de son mariage à sa mort prématurée, mettra au monde un nouvel enfant presque tous les ans, comme il était de coutume en ces temps où il n'y avait pas de contraception et où la culture et la religion prônaient la procréation.

    Swedenborg a 4 ans lorsque son père, Jesper Swedberg, alors prédicateur de la cour royale de Stokholm est nommé par le roi Charles XI, à un poste de professeur de théologie à l'université d'Uppsala. Nous sommes en 1692 et son père a 39 ans, il sera nommé deux ans plus tard recteur de la cathédrale d'Uppsala et chef du clergé de cette ville.


Charles XI   (1655 - 1697)

Lorsque son père Charles X meurt en 1660 il n'a encore que 5 ans, mais il est néanmoins reconnu comme roi. La régence est confiée à la reine Edwige-Eléonore qui exercera cette charge pour son fils pendant douze ans et ultérieurement pour son petit-fils Charles XII. Le traité d'Oliwa, conclu en 1660 par le conseil de régence acheva la guerre entreprise par son père Charles X, qui ayant annexé le Danemark et la Pologne, fut surnommé le "César du Nord". En 1672, à l'âge de 17 ans, Charles XI monte officiellement sur le trône. En tant qu'alliée de la France de Louis XIV, la Suède, après plusieurs batailles, parvient à vaincre le roi du Danemark qui lui a déclaré la guerre. En 1674 elle doit prendre part à la guerre contre le Brandebourg, qui se solde l'année suivante par l'humiliante défaite des Suédois à Fehrbellin. Le Danemark en profite pour envahir la Scanie. En 1679 une paix favorable et avantageuse pour la Suède est signée sous le patronage de Louis XIV. Profitant, à l'instar de son allié français, du mécontentement de la population envers la noblesse, Charles XI s'arroge un pouvoir quasi absolu. Il faut dire que les nobles avaient accaparé plus des trois quarts des terres et qu'ils jouissaient de privilèges exorbitants, vivant dans un luxe ostentatoire, tandis que le reste de la population était dans la misère. Cette situation finit par entraver complètement l'économie du pays et révolter le peuple. Les trois classes roturières : le clergé, la bourgeoisie et les paysans, ainsi que la noblesse inférieure, la noblesse étant elle-même divisée en trois ordres, formèrent une coalition. Pour faire aboutir son projet cette coalition donna au roi le pouvoir absolu afin qu'il puisse rabaisser la haute noblesse et abolir ses privilèges les plus injustes. Celle-ci dut se soumettre, cette révolution pacifique préfigure à beaucoup d'égards la Révolution française plus radicale qui aura lieu près d'un siècle plus tard. Comme elle, la réalisation des voeux légitimes du peuple aura pour effet l'instauration d'un chef au pouvoir absolu, Charles XI en Suède, Napoléon Ier en France. En attendant, la paix revenue, le roi s'attellera à réformer l'administration et les finances du royaume et à encourager les sciences, l'industrie et le commerce ainsi que les lettres et les arts. On lui devra la fondation de la très importante université de Lünd. En 1680, à 35 ans Charles XI épouse Ulrique de Danemark, trois enfants naîtront de cette union dont Charles XII qui lui succédera. Il meurt précocement à l'âge de 41 ans, au printemps 1697. Ce monarque laissera à son fils un royaume florissant, une flotte et une armée puissante ainsi qu'un trésor tel que n'en avait jamais possédé aucun souverain du Nord.

    "Uppsala" en français, " Upsal" en suédois, n'est pas une ville anodine, elle n'est rien moins que le coeur spirituel et culturel de la Suède depuis toujours. Consacré par la religion polythéiste, cet ancien sanctuaire d'Odin avait été le lieu de résidence de tous les rois et reines de Suède jusqu'au 17ème siècle. Malgré le fait que Stockholm soit entre temps devenue la capitale, la tradition voulait que tous les rois et reines y soient encore couronnés. C'est à Uppsala qu’avait été fondée en 1477, sous le régime de l'Eglise romaine, la première académie, l'équivalent de nos actuelles universités, elle devint par la suite luthérienne avec la Réforme. Elle était à cette époque le centre de la connaissance théologique et universitaire de tout le pays et c'est de cette même ville que l'Eglise de Suède, religion d'état, était gouvernée.

  Du temps de Swedenborg, Uppsala est une petite ville provinciale d'environ 4000 à 5000 habitants, surplombée par une colline au sommet de laquelle un vieux château dominait le vaste paysage d'une plaine paisible et verdoyante. 

 
 
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Le Château d'Uppsala et sa cathédrale, anonyme, fin du 17ème siècle.
 
 
 
 
    A son pied se dressait, tel une flèche tendue vers le ciel, le magnifique vaisseau d'une cathédrale gothique des plus remarquables de Scandinavie, et que l'on disait avoir été conçue par l'architecte de Notre Dame de Paris. Au pied de cette magnifique "maison de Dieu", disposés autour d'une grande place jardinée, s'élevaient les bâtiments universitaires dont deux maisons furent allouées aux Swedberg.



 
 
 
     
 
Cathédrale d'Uppsala , anonyme, entre 1632 et l'incendie de 1702.
 
 

    Ces édifices de pierre étaient entourés de nombreuses maisons de bois qui s'aggloméraient autour de ces bâtiments centraux, s'adossant parfois contre leurs murs. Nous verrons que ce modèle d'urbanisme, hérité de l'époque médiévale, entraînera dans beaucoup de cités d'Europe de nombreux incendies très destructeurs.




 
 

 

 

 

 

 

   Son père Jesper, grand, massif, un homme d'autorité au caractère entier, était animé d'une foi communicative aux accents prophétiques. Il était le type même du pasteur luthérien, austère, d'une grande rigueur morale mais empli d'une bonté toute paternelle. Il donna à ses enfants une éducation très religieuse, convaincu toutefois qu'il importait de leur laisser une certaine liberté, fondement pensait-il d'une bonne pédagogie. C'était un remarquable prédicateur et un écrivain d'une extraordinaire fécondité littéraire.





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   Comme nous le verrons plus loin, l'atmosphère spirituelle du foyer où Emmanuel grandit sera d'une influence déterminante sur lui. Pour son père qui vit une foi simple et entière, l'autre monde est partout présent. Il se manifeste constamment dans la vie de tous les jours à travers signes et manifestations. Chaque événement de la vie familiale et sociale y prend toujours une signification qui révélait quelque chose des desseins de Dieu. Il faut dire que son père avait très tôt manifesté des facultés psychiques étonnantes. Il racontait avoir eu à l'âge de 13 ans une vision du Ciel et de l'Enfer, et qu'il bénéficiait depuis régulièrement de visions et de songes prophétiques. Il disait communiquer avec les esprits et les anges et prêchait la réalité d'un monde supra-sensible dans lequel viendraient les âmes après la mort, continuant à s'intéresser aux leurs et pouvant, avec le consentement de Dieu, apparaître aux vivants. Il considérait que l'homme est, par l'intermédiaire des anges, en constante relation avec ce monde divin et que ceux-ci veillent continuellement sur son devenir spirituel, le protégeant du démon.

    La personnalité de son père marquera profondément Swedenborg et il est indéniable qu'il héritera de cette incroyable passion d'écrire, de ses facultés psychiques ainsi que de sa vision de l'autre monde. Par contre il réagira fortement à l'encontre des aspects excessifs de sa personnalité et de sa religion, au point de le tenir très tôt plutôt à distance pour se tourner vers d'autres "pères". D'un point de vue typologique et psychologique le jeune Emanuel tient bien davantage de sa mère que de son père. D'une nature profonde et intériorisée, discret et modeste, il manifeste très tôt des dispositions et des dons exceptionnels pour la vie intérieure.

  Enfant, il disait souvent des choses qui surprenaient son entourage, du fait qu'elles surpassaient complètement la maturité supposée de son âge. Lorsque ses parents lui demandaient alors d'où lui venaient de tels propos, il répondait qu'il les tenait des enfants avec lesquels il jouait dans le jardin. Sauf qu'il y jouait toujours seul, ce qui faisait dire à ses parents qu'il devait y être avec des anges qui devaient ainsi parler à travers lui.

    « De ma quatrième à ma dixième année, dira-t-il plus tard, mes pensées étaient sans cesse préoccupées de Dieu, de la question du bonheur éternel et des souffrances spirituelles de l'homme. De ma sixième à ma douzième année mon plus grand plaisir était de m'entretenir avec des religieux sur les mystères de la foi. A cette époque je ne connaissais d'autre doctrine que celle qui consiste à croire que Dieu est le créateur de l'univers, qu'il a doté les hommes d'intelligence et de bonnes dispositions ainsi que de tous les dons qui en découlent. Je ne connaissais rien à cette époque de cette foi absurde qui prétend que Dieu octroie sa grâce à n'importe quel homme, quelles que soient sa vie et sa nature. »

 
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    Sa mère, Sarah Behm, fille d'un membre du Collège des Mines, l'équivalent de notre ministère de l'industrie, est une jeune femme gracieuse et cultivée en même temps que simple et modeste, très pieuse, elle est aussi dévouée que généreuse. Fait marquant, Swedenborg assumera bien plus tard exactement les mêmes fonctions que son grand-père maternel, consacrant une grande partie de sa vie à l'industrie minière et métallurgique. Il s'inscrira en cela parfaitement dans la lignée de son ascendance familiale maternelle.

 
         
 
Sarah Behm Swedberg (1666-1696), anonyme, 1692.
     
 



 

 

 

   Son père, nouvellement nommé professeur de théologie, s'installe avec sa famille à Uppsala où il séjournera dix ans. Devenu recteur de la faculté, il y construira lui-même le long de la place centrale de la cité, une grande maison de pierre dotée d'un beau jardin. « Pas le moindre travail n'a été réalisé, ni une seule pierre posée, avec un coeur morose, dira-t-il plus tard, tout a été construit avec entrain et plaisir. Aucun cri de colère, aucune parole dure, aucune dispute ni juron n'ont été entendus. »

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L'évêque Jesper Swedberg (1653-1735), anonyme 1707.
 
 


    Les années qui suivent sont marquées par des dégâts sans précédent sur les récoltes, destructions qui entraîneront de terribles famines. Du fait probablement du "petit âge glaciaire" qui touchera toute l'Europe entre 1645 et 1715, au printemps 1692 un coup de froid sans précédent, doublé de pluies continues à l'automne détruisent toutes les récoltes. L'année suivante, des chutes de neige printanières et une sécheresse estivale en font autant, et l'année d'après connaît un hiver particulièrement rigoureux. Les plus pauvres, affamés, se mettent à manger des écorces, des feuilles et des racines, et les loups eux aussi affamés attaquent les paysans jusque dans leurs fermes. Touchée par une telle misère, Sarah Behm fait construire à ses frais une maison pour les plus pauvres, afin de leur procurer abri, soins et nourriture.

    C'est alors que s'abat un grand malheur sur leur famille. Au mois de juin 1696, la mère d'Emmanuel, qui est dans sa trentième année et qui élève maintenant une famille nombreuse de huit enfants, est brutalement emportée par une épidémie de fièvre. Dix jours après, c'est son grand frère de 11-12 ans, Albert, un enfant plein de dons, qui est emporté à son tour par le même mal.

   La perte coup sur coup de sa mère et de son grand frère, marquera profondément Swedenborg qui n'a encore que 8 ans. D'autant qu'il avait une relation privilégiée avec sa mère, qui affectionnait particulièrement cet enfant prodige. Le petit Emanuel sera donc très tôt confronté à la violence de la mort, rien d'étonnant dans ces circonstances que la question de la pérennité de l'âme ait été toute sa vie durant au coeur de ses préoccupations intérieures et de son oeuvre.

   Cette même année un de ses cousins, Johan Moraeus, pharmacien de renom, s'installe dans la maison familiale comme précepteur des enfants, tout en poursuivant ses études de médecine à l'université d'Uppsala. Il sera pendant cinq ans le professeur d'Emmanuel alors âgé de neuf ans. Cet homme bon et éclairé est celui qui l'initiera aux premiers éléments de culture scientifique. C'est à lui qu'il devra certainement son double intérêt pour la géologie et pour l'anatomie humaine, sciences dont Moraeus était passionné.

   Son père se remarie l'année suivante avec Sarah Bergia. C'est une femme qui manifeste elle aussi de grandes qualités d'âme et d'esprit. Veuve de deux mariages, elle est du même âge que son ex-femme, porte le même prénom, Sarah, et est, elle aussi, fille d'une riche famille de propriétaires miniers. Elle adoptera et affectionnera tout particulièrement le jeune Emmanuel auquel elle lèguera plus tard une partie de sa fortune.

    Il raconte qu'il prit l'habitude, autour de l'âge de 12 ans, tandis qu'il disait ses prières du matin et du soir, de pratiquer une respiration particulière qu'il nommait : "respiration intérieure". Allié à une intense concentration, cet exercice le plongeait dans un état de conscience modifié. Il disait pouvoir suspendre alors toute respiration extérieure pendant une heure entière et que dans cet état second son être se détachait du monde extérieur pour pénétrer dans une lumière intérieure. Ses sentiments et ses pensées atteignaient une puissance et une clarté extraordinaires et il lui arrivait alors d'entrer en communication avec des esprits et des anges.

   Si l'on étudie de plus près les descriptions données plus tard par Swedenborg concernant cette pratique respiratoire, qui consiste en une suppression presque complète de la respiration extérieure, ne laissant subsister que des échanges extérieurs imperceptibles, on réalise que ce type de respiration est décrite par un grand nombre de mystiques et qu'elle accompagne fréquemment l'expérience de la méditation en Orient ou de l'oraison en Occident. On la retrouve également dans un grand nombre de pratiques chamanistes, yoguis, méditatives et psychothérapeutiques. Elle induit un état second dans lequel la conscience se détache des stimulis du monde extérieur, pour s'intérioriser en profondeur. Dans cet état les sentiments, les pensées et les souvenirs acquièrent une intensité, une qualité et une profondeur qu'ils n'ont habituellement pas à l'état de veille. La personne se sent alors habitée par une chaleur et une lumière intérieures qui plongent la conscience dans un état de paix profonde. Toutes sortes d'expériences et de réalisations spirituelles peuvent alors survenir.

   On voit qu'il y a chez Swedenborg non seulement un héritage de foi, mais aussi une prédisposition héréditaire à faire certaines expériences. Nous avons certainement affaire, avec son père et lui, à une extraordinaire lignée de chamanes modernes. Cet héritage paternel constituera le terreau spirituel à partir duquel se développeront bien plus tard les expériences et les visions de Swedenborg. Lorsque l'on considère la vie et l'univers spirituel de son père en regard de celui de Swedenborg, on peut avoir l'impression d'une parfaite filiation. Il faut se méfier des apparences, car au-delà de ces ressemblances évidentes il est certain que nous avons affaire ici à deux personnalités, deux destins et deux visions fondamentalement différentes. Swedenborg se démarquera d'ailleurs très tôt de son père, à travers le transfert de sa paternité spirituelle sur son oncle, Eric Benzélius, ainsi que par sa précoce orientation vers la philosophie et les sciences. Très tôt aussi il adhérera à la révolution cartésienne et à l'exercice de la raison pure, chère aux nouveaux philosophes et toujours nécessairement dissidente par rapport à l'autorité de l'Eglise et de ses dogmes, que son père incarnait. Pendant la période théologique de la dernière partie de sa vie, Swedenborg se démarquera aussi fortement de la religion de son père, à ses yeux caduque, extérieure et souvent hypocrite.

    Enfant précoce et très doué pour les études, il entre en juin 1699, à l'âge de 12 ans, à l'université d'Uppsala. Soulignons que ses premières années universitaires inaugurent pour lui un tout nouveau 18ème siècle, qui s'ouvre plein des promesses de cette nouvelle connaissance qui est en train de sourdre de partout et de révolutionner le monde.

    Trois ans plus tard, le 17 mai 1702, un incendie extrêmement destructeur ravage les trois quarts d'Uppsala. Le château des anciens rois de suède, la cathédrale et l'université, ainsi que la maison familiale des Swedberg, sont en grande partie détruits. La bibliothèque de l'université et celle de son père sont par chance, grâce à l'intervention d'un grand ami des Swedberg, Olof Rudbeck, sauvées des flammes. C'était l'homme fort de l'université et son recteur depuis la deuxième moitié du 17ème siècle, un génie universel qui avait acquis une réputation internationale pour sa découverte du système lymphatique, il contribuera grandement au développement des sciences en Suède. Un exode massif et durable d'une grande partie de la population s'ensuivit et la ville mettra bien des années à s'en remettre. Cet évènement dramatique a certainement dû frapper le jeune adolescent de 15 ans. Nous verrons qu'il trouvera un étonnant écho dans le destin à la fois de son père et de Swedenborg lui-même.

    En 1703, au printemps suivant, Charles XII, nomme Jesper évêque de Skara. Celui-ci quitte Uppsala pour aller s'installer dans une belle demeure à Brunsbo où il vivra pendant les trente-trois prochaines années de sa vie avant de s'y éteindre à l'âge de 82 ans. Sa maison y sera deux fois détruite par des incendies. Le premier, dix ans après celui d'Uppsala, emportera cette fois toute sa bibliothèque ainsi que ses très nombreux manuscrits. Le second aura lieu trois ans avant sa mort. Son père aura donc vu sa maison entièrement détruite par le feu trois fois dans sa vie. Cette récurrence interroge, pourrait-elle être l'expression symbolique d'un certain état d'inflation de son moi ?

    Descendant d'une vieille famille de fermiers originaire de la Dalécarlie, au nord de la Suède, le père de Jesper avait acheté une concession de mine de cuivre abandonnée depuis longtemps. La mise en oeuvre de nouvelles méthodes d'extraction plus performantes, lui permit de faire fortune et d'envoyer son fils faire des études de théologie à l'université d'Uppsala. Forte personnalité, ambitieux, il connaîtra grâce à son amitié avec le roi Charles XI qui lui manifestera de nombreuses marques d'estime, une ascension sociale fulgurante qui lui vaudra beaucoup de jalousie et d'inimitié. A 32 ans, il est nommé aumônier du premier régiment de cavalerie du roi, (1684), à 35 ans, prédicateur de la cour royale de Stockholm (1685), à 42 ans, professeur de théologie à l'université d'Uppsala (1692), à 44 ans, recteur de sa cathédrale et chef du clergé de cette ville, (1694). A la suite de ces fonctions conférées par Charles XI, son successeur Charles XII le nommera évêque de Skara à 50 ans, (1703), puis intendant des congrégations suédoises de Pensylvanie en Amérique et des congrégations suédoises de Londres à 56 ans (1719). La même année, la reine Ulrique Eléonore, qui succèdera à Charles XII, lui confèrera, ainsi qu'à toute sa famille, la noblesse héréditaire.

    Fondateur d'une imprimerie à Skara, c'est un remarquable écrivain qui se distingue pour les avancées qu'il assurera à la langue nationale et par les améliorations qu'il apportera à la version suédoise de la Bible. Passionné de musique et de chant, il composera un important recueil d'hymnes dont certains sont encore en usage dans l'église luthérienne d'aujourd'hui. Ecrivain extraordinairement fécond, il attribuait cette disposition à son nom qui signifiait « écrire » en hébreu, se plaisant à dire que dix brouettes suffiraient à peine à transporter tout ce qu'il avait publié et qu'il avait autant de manuscrits non publiés chez lui. Il laissera à sa mort la copie d'une autobiographie de plus de mille pages rédigées de ses mains en six volumes à l'attention de ses six enfants, plus une copie pour la bibliothèque de l'université d'Uppsala.

    Cette autobiographie ressemble plutôt à une apologie de lui-même et montre à quel point il se portait en haute estime, pétri de cet "amour de soi", au renoncement duquel Swedenborg fera la condition de la régénération, pilier de toute sa théologie. Plus que tout autre dans son entourage proche, son père incarnera le divorce parfois trompeur entre l'apparence extérieure de l'homme et sa réalité intérieure, entre ce que Swedenborg nommera plus tard son "homme interne ou spirituel" et son "homme externe ou naturel", notion elle aussi essentielle à sa théologie de la régénération. La psychologie de Swedenborg dominée par la modestie et la discrétion ne pouvait s'accommoder sans peine de la personnalité égotique de ce père ambitieux qui se voulait assis à la fois "à la droite du Père" et "à la droite du roi", dominant largement de sa vertu suprême le monde. Au second regard on se rend compte que le personnage, en apparence si chrétien et bienveillant, manifeste sous bien des aspects de nombreuses contradictions et ambiguïtés, expression d'un moi hypertrophié et d'une "ombre" puissante qui ne connaîtra aucun recul critique, ni aucune remise en question de lui-même. Le monde et ses hommes sont passés, sans compassion, au cordeau de sa vertu prophétique et de sa morale.

    Son père, nommé à Skara, confie le jeune adolescent ainsi qu'une de ses soeurs et deux de ses frères, à son beau-fils Erik Benzelius, afin qu'ils puissent continuer leurs études à Uppsala. Erik Benzelius, bibliothécaire de son université, vient de se marier avec sa plus grande soeur, Anna, alors âgée de 17 ans. Il y sera deux ans plus tard nommé professeur de théologie. Emmanuel vivra six ans chez eux, de ses 15 à ses 21 ans. Son oncle et lui noueront une relation de coeur et d'esprit forte et profonde. Swedenborg le considèrera comme "un véritable père" et à en juger par la correspondance échangée plus tard entre eux, il sera le membre de sa famille avec lequel il entretiendra la relation la plus intime et la plus pérenne. Erik Benzelius était de treize ans son aîné, esprit fin et brillant passionné de sciences, il aura sur lui, à un âge alors très réceptif, une influence déterminante. C'est à lui que Swedenborg devra cet amour pour les sciences qui dominera toute sa vie et c'est sous son impulsion qu'il s'orientera, jeune homme, résolument vers les sciences et l'ingénierie.

 
  erikbenzelius   annaswedberg  
         
 
Erik Benzelius (1675-1743), by J. H. Scheffel, 1723.
 
Anna Swedberg (1686 ?-1766), by J. H. Scheffel, 1723.
 
 
 
 
 

   Il faut savoir que tout au long du 17ème siècle en Suède la simplicité des croyances primitives de la Réforme avait fait place à une orthodoxie étroite et répressive. Après la Confession d'Augsbourg de 1627, le clergé mit en place des mesures qui permirent à nombre d'ecclésiastiques intolérants de faire du zèle, accusant d'hétérodoxie les évêques les plus éclairés pour aller parfois jusqu'à obtenir leur démission. Si un théologien osait penser par lui-même et soutenir des vues particulières, il se voyait destitué. Une vague de fanatisme sans précédent déferla sur toute la Suède générant de nombreux procès en hérésie et de bien malheureuses persécutions. Heureusement en 1676, peu avant la naissance de Swedenborg, un jeune médecin naturaliste, Urbain Hierne, parvient à mettre un terme à cette crise d'intégrisme déplorable.

    D'où provenait en Suède cet obscurcissement de la raison ? Ces ecclésiastiques en étaient pour une grande part responsables. Les écoles élémentaires placées sous la seule direction des évêques étaient avant tout destinées à la formation des futurs pasteurs. Le niveau général d'instruction était très bas, la culture scientifique faisait presque totalement défaut. Les mathématiques, les sciences naturelles et l'astronomie y étaient quasiment inconnues. Un professeur ayant osé faire quelques expériences de physique fut accusé d'être un magicien et dut se repentir. Un savant chassa de sa table un collègue qui soutenait que c'est bien la terre qui tourne autour du soleil et non le contraire. Tandis que les sciences nouvelles commencent à pénétrer de leur sève vivifiante toutes les couches de la société européenne, leurs semences ont bien de la peine à germer dans le sol suédois gelé par plus d'un siècle d'autocratie religieuse.


La Réforme

En 1517 le moine Martin Luther publie ses "95 thèses contre la vertu des indulgences". Ces indulgences vendues par l'Eglise pour construire la basilique St Pierre à Rome, donnaient à son avis une fausse assurance aux fidèles quant à leur salut qui ne pouvait provenir que de la grâce de Dieu. Le protestantisme naît peu après l'excommunication de Luther promulguée le 15 juin 1720, ce dernier ayant soutenu que le pape et le concile peuvent se tromper et que l'on ne doit se soumettre qu'à l'autorité de la Bible. Bible qu’il traduit de plus, sacrilège suprême, dans la langue vulgaire, celle du peuple, ici en allemand. Le Protestantisme naîtra de cette double protestation de laquelle découleront les deux principes fondateurs de sa théologie : "L'autorité souveraine des Ecritures Sacrées" et "la justification par la foi ou le salut, par la seule grâce". Swedenborg réagira bien plus tard très fortement contre ce deuxième point de doctrine. Sur la base de ces principes le protestantisme prendra la forme d'un refus des médiations sacrales, du culte de la Vierge et des saints, des ecclésiastiques et du sacrifice de la messe. Le sacerdoce, bien commun des clercs et des laïcs, est universel. Ces refus et ces affirmations engendreront l'Eglise de la diversité qui caractérise l'histoire du protestantisme jusqu'à nos jours. A l'Eglise, unique médiatrice, du catholicisme, le protestantisme oppose tout de suite une pluralité d'Eglises. Ainsi se fera la création des Eglises réformées de France en 1559. Une partie de l'Allemagne et l'ensemble de la Scandinavie deviennent Luthériens, mais c'est un luthérianisme influencé par Philipp Melanchthon (1497-1560), auteur de la confession d'Augsbourg de 1530. Très vite, la Réforme protestante progresse en Suisse, en France et aux Pays-Bas sous sa forme zwinglienne (Ulrych Zwingli, 1484-1531) et surtout calviniste (Jean Calvin, 1509-1564). Une terrible guerre de religions, opposant catholiques et protestants, s'ensuivra en France, de 1562 à 1598, et en Allemagne avec la guerre dite de Trente Ans, de 1618 à 1648.

La dynamique protestante, très présente dans l'histoire d'Angleterre du 16ème siècle donnera naissance à l'Eglise Anglicane restée assez proche du modèle catholique. L'anglicanisme deviendra aux Etats-Unis l'Eglise épiscopalienne incarnant un protestantisme tempéré. L'hérésie qui générait logiquement dans l'Eglise catholique scissions et excommunications, crée dans le protestantisme l'avènement d’une nouvelle Eglise indépendante, elle aussi protestante.

Ainsi s'explique la prolifération en Hollande et en Angleterre de nombreuses "dénominations" telles que le Baptisme, qui jouera dans l'Amérique anglaise un rôle important pour le développement de la tolérance (Roger Williams, 1600-1684), les Quakers (George Fox, 1624-1691), les Méthodistes (John Wesley, 1703-1791). Toutes ces Eglises sont contemporaines de Swedenborg et il aura avec elles des implications diverses et parfois d'importance. C'est de cette pluralité des Eglises que naîtra au 20ème siècle, à l'intérieur du protestantisme d'abord puis dans l'ensemble des Eglises chrétiennes, l'oecuménisme. Le Conseil Oecuménique des Eglises Chrétiennes sera définitivement constitué à Amsterdam en 1948, amenant un nouveau climat de dialogue et de coopération entre les différentes Eglises Chrétiennes, surtout entre orthodoxes et protestants, plus récemment catholiques.

    Au 17ème siècle toutes les questions liées à la religion et à l'enseignement se référaient à l'Eglise seule, et tout conflit d'opinion était résolu par décret clérical. Les enseignements d'Aristote, retraduits et adaptés par les théologiens à leurs dogmes, représentaient la seule mesure de connaissance scientifique admissible pour l'édification de l'esprit. Mais voici que par-dessus l'insistante clameur des Eglises se mit à résonner, en France, en Hollande et dans toute l'Europe, la voix claire, haute et distincte d'une nouvelle philosophie fondée sur la liberté, la raison et la pensée critique, celle du philosophe français René Descartes. « La seule méthode pour aborder l'inconnu, disait-il, ne consiste pas à se demander ce que Platon et Aristote en ont dit mais bien plutôt à développer ses propres déductions pour s'en faire une opinion indépendante ». Pour lui, le monde matériel n'est pas l'expression de forces spirituelles, traduites par les théologiens par "Dieu", mais un vaste système mécanique régi par les lois de la physique. Sur la base de cette théorie la science était libre d'expliquer les phénomènes naturels par les lois de la physique décrites en particulier par les mathématiques et la géométrie. En 1650 la reine Christina de Suède, séduite par sa pensée et grande admiratrice du philosophe, l'invita à séjourner sous son toit. La rumeur dira qu'il aurait été son amant. Peu adapté aux rigueurs du climat nordique, il y mourra l'année même d'une pneumonie.

    Mais la philosophie de Descartes avait allumé le feu d'une nouvelle liberté à l'université d'Uppsala où il était venu donner une de ses dernières conférences. Une grande controverse avait éclaté entre la faculté de médecine et celle de théologie concernant la liberté de pensée en philosophie. Le clergé voulut y interdire l'enseignement de la philosophie de Descartes, le libre usage de la raison étant considéré comme une faute grave, même en philosophie. De 1663 à 1686 tout le monde était occupé par la polémique de savoir s'il fallait promouvoir la liberté de pensée prônée par Descartes ou maintenir la tradition séculaire qui consiste à ne croire et n'enseigner que ce qui est strictement approuvé par l'Eglise. En 1686 la faculté de philosophie est soumise à la censure de la faculté de théologie et le conflit remonte jusqu'au roi Charles XI qui renverra finalement les deux factions dos à dos en déclarant que les doctrines de la foi chrétienne ne devaient pas être l'objet des critiques de la philosophie mais que pour le reste la philosophie se devait d'être libre en pratique et en discussion. Le résultat de cette disposition fut qu'une certaine liberté de pensée fut tolérée pour les autorités enseignantes suédoises, donnant un nouvel élan au développement des sciences.

    Dans ce débat Erik Benzelius défendait l'approche cartésienne tandis que le père d'Emmanuel, était l'un des principaux défenseurs de l'approche conservatrice. Jesper, d'une foi entière et patriotique, était totalement étranger aux subtilités de la dogmatique et n'avait aucune curiosité pour les sciences. Toute tentative de justification de la foi par une logique rationnelle ou scientifique lui était totalement indifférente. « Je crois, disait-il, comme Tertullien, parce que c'est absurde mais aussi parce qu'il m'est difficile de comprendre. » Losqu'il quittera l'université d'Uppsala il dira à ses étudiants : « Tout ce dont vous aurez besoin pour cette vie et pour l'éternité, vous l'apprendrez dans la Bible, faites-en votre livre principal. » Mais en ce début de siècle le fondamentalisme de la faculté de théologie est déjà sérieusement entamé à Uppsala.

    Notons ici que toute sa vie Swedenborg n'aura de cesse de réconcilier ces deux antagonismes que sont la raison et la foi, la pensée critique et la pensée religieuse, et cela autant dans son oeuvre scientifique et philosophique finale que dans son oeuvre théologique ultérieure. Oeuvre théologique qu'il inaugurera d'ailleurs par cette fameuse sentence : « Maintenant il est permis d'entrer intellectuellement dans les arcanes de la foi ! »

    Il y avait alors quatre facultés : théologie, droit, médecine et philosophie. La philosophie embrassait alors un large domaine, englobant à la fois les lettres, les mathématiques et la physique et c'est de fait la branche qu'il avait choisie. Il y étudiera les langues anciennes, le latin, le grec et l'hébreu, et se passionnera pour la littérature et la poésie ainsi que pour les mathématiques et les sciences naturelles.

    Il obtient son doctorat en philosophie le 1er juin 1709, avec une thèse sur les sentences de Sénèque et les mimes de Publius Syrus :

    « Sélection de sentences de L. Annaeus Sénèque, de Publius Syrus le Mime, et d'autres », Uppsala, 1709.

    Loin du champ de ses spéculations scientifiques, il s'agit d'un recueil d'environ sept cent maximes d'un poète latin de l'antiquité romaine, Publius ainsi que d'autres auteurs. Toutes ces sentences sont patiemment collectionnées à partir de l'ensemble de ces oeuvres, puis classées par thème : amour, argent, amitié, avarice, etc. Elles sont accompagnées de nombreuses notes, références et correspondances chez un grand nombre d'auteurs, à la fois classiques et modernes.

Publius Syrus et Sénèque

Publius Syrus ou plus exactement Publilius Syrus, né en Syrie vers 85 av. J-C, décédé à Rome en 43 av. J-C, est un poète latin. Amené esclave à Rome, il est éduqué puis affranchi par son maître en raison de ses qualités intellectuelles et de ses talents. Il est le principal représentant de l'art mimique avec Decimus Laberius, chevalier romain qu'il avait vaincu lors d'une joute littéraire en présence de César. Syrus survécut à César et à Labérius et connut un grand succès à Rome. On lui doit des mimes, dont deux titres ont été conservés. Leur valeur reposait beaucoup sur le talent des acteurs, leur originalité et leur capacité d'improvisation. Ces maximes, encore très appréciées un siècle plus tard, furent reprises par Sénèque. "Lucius Annaeus Seneca" en latin, né vers l'an 4 av. J-C et mort en 65 ap. J-C, est un philosophe de l'école stoïcienne, un dramaturge et un homme d'état romain du premier siècle de l'ère chrétienne. Ses tragédies sont un des meilleurs exemples du théâtre tragique latin qui nourrira le théâtre classique français du 17ème siècle avec des oeuvres comme Médée, Œdipe ou Phèdre.

 
 

 

 

 

 

    Le garçon a maintenant 21 ans et c'est un beau jeune homme en pleine santé, qui déborde d'énergie et d'enthousiasme. D'une taille un peu au-dessous de la moyenne, les traits de son visage plutôt longs sont exceptionnellement harmonieux et équilibrés. Son front est haut, ses yeux sont bleu sombre et il porte une abondante chevelure. Il est imberbe et il parle avec un léger bégaiement. Ce handicap l'empêchera certainement de s'orienter vers la carrière ecclésiale à laquelle son père et tout son milieu ne pouvaient que fortement le prédestiner. Deux de ses frères épouseront d'ailleurs la carrière de leur père, pour devenir comme lui évêques. Le jeune Emmanuel n'a déjà plus qu'une idée en tête, se soustraire à l'influence de son père, s'échapper de la sphère à présent lourde, ennuyeuse et étouffante de son milieu, pour s'adonner avec passion à l'exercice de ces toutes nouvelles sciences qui sont en train de révolutionner le monde. 

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Emmanuel Swedenborg à 19 ans, anonyme, 1707.
 
     
 
 

     Ainsi s'achève la première partie d'une vie qui sera entièrement dédiée à une recherche de connaissance qui ne supportera aucune limite, aucune concession de quelque ordre qu'elle soit. Il est frappant de trouver dans les éléments de cette première partie de sa vie à peu près tous les ingrédients de sa destinée ultérieure et en particulier de la dernière partie de sa vie. C'est un peu comme si tout y était contenu en germe pour ne s'objectiver pleinement que bien des années plus tard. Il semble qu'à partir de ses 55 ans, l'année où tout a basculé, il n'ait fait que "remonter dans le temps" pour finalement entrer en résonance avec la phase la plus mystique de sa prime enfance.

 

 

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