nunc licet

 

 

 

 

 

 

 

10. La dernière pierre

(1770-1772 / de 82 ans à 84 ans)

 
 
"Nunc Licet", de Willian Blake.
Référence au fameux : "Nunc permissum est..." « Maintenant il est permis d'entrer intellectuellement dans les arcanes de la foi » de Swedenborg. Allusion aussi à l'ouverture
du sens spirituel de la Parole.
   
 

    Au-delà même des persécutions subies par ses amis, il ne pouvait rien arriver de pire à Swedenborg que de voir ses livres confisqués, détruits et interdits dans toute la Suède. C’est ce qui l’atteindra le plus directement et le plus violemment. Il en restera profondément blessé, mais pas brisé pour autant. Au contraire, comme dans toutes les épreuves qui auront jalonné sa vie, il va en ressortir avec une force décuplée. Après un temps d’immobilisation et de retraite, il se redresse avec un nouveau projet qui lui permettra à chaque fois de porter son oeuvre à un plus haut niveau d’accomplissement.

    Il a maintenant 82 ans, et en ce printemps 1770 il est à préparer son onzième et dernier voyage.

 
   
 
Carte des principales villes visitées par Swedenborg au cours de sa vie et de ses onze voyages à travers l'Europe.
 
 

    Pressentant qu'il ne reviendrait certainement jamais dans sa maison et qu'il ne reverrait plus son pays, il met en ordre toutes ses affaires et fait ses adieux à tous ses anciens collègues, amis et proches disciples. C'est le coeur serré qu'il referme pour la dernière fois le portail de sa maison et de son jardin, à présent en friche. Lieu béni de sa longue et studieuse retraite, jardin enchanté et havre de paix, vers lequel avaient afflué pendant tant d'années tant de gens en quête de sens et de lumières spirituelles. Multitude qu'il avait, au fil du temps et en toutes saisons, sans cesse accueillie à bras ouverts, avec chaleur, ouverture et générosité.

    Malgré son âge avancé, les épreuves de ces dernières années et son exil volontaire, il ne perdra rien de sa bonne humeur naturelle, ni de son énergie débordante. Au contraire, un nouveau changement s'opère en lui, il est encore plus serein, plus chaleureux et plus joyeux avec ceux qui l'entourent. Ce qui le porte par-dessus tout, c'est le nouveau projet qu'il prépare depuis longtemps, apothéose de toute son oeuvre, son testament spirituel en quelque sorte.

    Ayant promis une dernière visite à son disciple et ami le Général Tuxen, mais finalement retenu au large d'Elsinore par des vents contraires, c'est le général qui décide de prendre un bateau afin de rejoindre Swedenborg.

« Le capitaine accueillit le général sur son bateau pour le faire immédiatement entrer dans la cabine de Swedenborg. A sa surprise Tuxen trouva le vénérable Assesseur assis à sa table, en chaussons et en robe de chambre, la tête appuyée sur ses deux mains, les yeux grands ouverts, révulsés vers le ciel. Il fut pris d'un fort sursaut lorsque Tuxen s'adressa à lui, mais reprenant rapidement ses esprits, il accepta joyeusement son invitation à venir dîner avec lui et sa femme chez eux ».

    Il est très surprenant de trouver de nombreux témoignages de ses trances et extases régulières, alors qu'en dehors de son petit cahier des rêves retrouvé par miracle, il n'en fera nulle part ailleurs mention, ni dans son oeuvre, ni dans sa correspondance. Quelle pourrait bien en être la raison ? Contrairement à d'autres contextes culturels, comme celui des cultures chamanistes ou orientales, ces états de conscience modifiée ne sont pas intégrés à la culture occidentale, c'est-à-dire pleinement reconnus et valorisés. Bien au contraire, ces expériences étaient, autant du côté du clergé que de celui des savants, toujours suspicieuses. Considérées par les uns comme l'expression d'un mysticisme suspect et par les autres comme le symptôme d'un déséquilibre mental.

   Voici encore ce que nous rapporte un de ses récents amis de cette époque, Johan Christian Cuno, un marchand allemand installé à Amsterdam :

« Nul ne travaille avec plus de calme dans l'âme, plus de netteté dans l'esprit et plus de prestance dans la plume. Il mange et boit modérément, dort treize heures par jour et travaille à écrire son nouvel ouvrage d’une manière infatigable, je dirais stupéfiante, surhumaine. Ce qui est inconcevable, c’est que n’ayant pas une ligne écrite à l’avance, il puisse ainsi rédiger tout son ouvrage en continu, d’un seul trait.

Toute personne curieuse de le rencontrer n'a aucune difficulté à le faire. Elle n'a rien à faire d'autre que de se rendre chez lui où il reçoit tous ceux qui désirent le voir. On peut facilement imaginer qu'un tel nombre de visites prennent la plus grande partie de son temps. Comment comprendre qu'il puisse néanmoins accomplir la tâche de rédiger dix pleines pages de manuscrit par jour et d'imprimer deux pleins feuillets par semaine ? Il dit que son ange les lui dicte et qu'il arrive à écrire suffisamment vite ! ».

    C'est pendant cette période qu'a eu lieu cette petite anecdocte, rapportée par le mystique, Jung-Stilling :

« A ce moment Swedenborg reçut la visite d'un marchand de Elberfeld qui avait lu quelques-uns de ses livres et qui souhaitait pouvoir rencontrer ce remarquable auteur.

L'homme vénérable le reçut avec sa bienveillance accoutumée : « Puis-je vous demander d'où vous venez ? » lui demanda-t-il.

« Je viens de Elberfeld, dans le duché de Berg, lui répondit le marchand. Vos écrits contiennent tellement de choses merveilleuses et édifiantes qu'ils ont fait une très forte impression sur moi. Mais la source de laquelle vous tirez toutes ces choses est tellement extraordinaire, tellement étrange et inhabituelle que vous ne prendrez pas mal qu'un ami sincère de la vérité, désire avoir une preuve incontestable que vous communiquez réellement avec le monde des esprits. »

Swedenborg : « Il serait déraisonnable que je le prenne mal, mais je pense avoir donné suffisamment de preuves incontestables ».

Le marchand : « S'agit-il de celles, bien connues, concernant la reine, la reconnaissance de dette et l'incendie de Stockholm ? ».

Swedenborg : « Oui, ce sont elles et elles sont véridiques ».

Le marchand : « Mais il y a beaucoup de controverses à leur sujet, aussi pourrais-je me permettre de vous demander de me donner une preuve similaire ? ».

Swedenborg : « Pourquoi pas ? Très volontiers ! ».

Le marchand : « J'avais un ami qui étudiait la théologie à Duisburg où il contracta une maladie et mourut. J'avais rendu visite à cet ami juste avant sa mort et nous avions discuté ensemble d'un sujet important. Pourriez-vous lui demander quel était l'objet de cette conversation ? ».

Swedenborg : « Je verrai. Quel était le nom de votre ami ? » Le marchand lui dit le nom. « Combien de temps allez-vous rester ici ? ».

Le marchand : « Environ huit à dix jours ».

Swedenborg : « Revenez me voir d'ici quelques jours. Je verrai si je peux trouver votre ami ».

Le marchand prit congé et retourna à ses affaires pour revenir quelques jours plus tard, curieux et impatient de la réponse qu'il allait avoir.

Le vieil homme l'accueillit avec un sourire lui disant : « J'ai parlé avec votre ami. Le sujet de votre conversation avec votre ami portait sur la question de la restitution de toutes choses. "L'Apocastasis", qui signifie l'éventuelle salvation de tous, une idée portée par les Pères de l'Eglise : Clément d'Alexandrie et Origène, et contredite par St Jérôme.

Swedenborg lui relata alors avec une grande précision tout ce dont lui et son ami défunt avaient parlé ce jour-là. Le marchand saisi de stupeur se mit à pâlir s'écriant en balbutiant : « Mon Dieu ? Quoi ? Dans l'autre monde ? tant les preuves étaient incontournables. » Il s'en retourna chez lui, totalement convaincu que Swedenborg ne pouvait être un imposteur ».

    A son ami Cuno, toujours critique et très sceptique, qui lui pose la question de savoir si les histoires du secret de la reine et de la reconnaissance de dette perdue, sont vraies, il répond qu'elles sont effectivement toutes deux véridiques. Il continue faisant remarquer qu'il existe des centaines d'histoires analogues à son sujet et qu'il ne veut pas perdre un seul instant à en parler, car elles sont pour lui des leurres qui détournent l'attention des gens de la seule chose qui soit vraiment importante : sa mission et ses enseignements.

    Il restera une année à Amsterdam, concentré sur la rédaction de ce dernier livre. Comme avec sa précédente "Exposition sommaire" de 1769, il tente de nouveau de le faire imprimer à Paris où il passe les mois de mai et de juin. Pour la seconde fois il bute sur le même écueil, la censure lui impose d'inscrire sur la couverture : "Imprimé à Londres ou à Amsterdam", mensonge auquel Swedenborg ne pouvait consentir. Il le fera donc, à regret, imprimer à Amsterdam au mois de juin 1771, sous le titre de :

    « La vraie religion chrétienne, contenant toute la théologie de la nouvelle Eglise, annoncée par le Seigneur dans Daniel chap. 7 : 13-14, et dans l'Apocalypse chap. 21 : 1-2., par Emmanuel Swedenborg, serviteur du Seigneur Jésus-Christ », Amsterdam, 1771.

   
 
Pages 478 et 479 de "Vraie Religion Chrétienne".
 
 

    Il distribue son nouveau livre avec autant d’attention et de zèle que tous les autres. Voici ce qu’il écrit au Prince de Landgrave de Hesse-Darmstadt en même temps qu’il lui en adresse deux exemplaires :

« Le Seigneur, notre Sauveur, avait prédit dans l’Apocalypse et divers passages des Evangiles qu’il reviendrait dans le monde et qu’il fonderait alors une nouvelle Eglise. Comme il ne peut revenir en personne dans le monde, il s’avère nécessaire qu’il le fasse par le moyen d’un homme qui puisse non seulement recevoir et comprendre la doctrine de cette nouvelle Eglise, mais encore l’imprimer et la publier. Comme le Seigneur m’y a préparé depuis mon enfance, il s’est manifesté en personne à moi, son serviteur, et m’a envoyé pour accomplir cette mission, ce qui eut lieu en 1744. Il a ensuite ouvert la vue de mon esprit et m’a ainsi introduit dans le monde spirituel. Il m’a accordé de voir les Cieux et leurs merveilles ainsi que les Enfers et de parler avec les anges et les esprits et cela de façon continue depuis 27 ans. J’atteste en toute vérité que les choses sont ainsi. Cette faveur du Seigneur ne m’a été accordée qu’à cause de la nouvelle Eglise et de sa doctrine qui se trouve dans mes écrits ».

 
  swedenborg  
 

Le dernier portrait de Swedenborg, quelques mois avant sa mort.
Par un artiste anglais inconnu, 1771.

 
 

   Son grand oeuvre achevé il s'embarque, exactement une année après son arrivée à Amsterdam, pour son dernier voyage à Londres. Il y débarque, soulagé de s'être dégagé de toutes les épreuves qu'il vient de traverser ainsi que de l'énorme travail que son dernier ouvrage a représenté. Il se sait à présent attendu par tout un cercle d'amis et de fidèles, qui l'entoureront et l'accompagneront jusqu'à ses derniers moments.

    Durant son séjour à Londres, Swedenborg loge chez un couple de commercants, Richard et Elizabeth Reynolds Shearsmith, chez qui il avait déjà séjourné lors de son précédent passage, deux ans auparavant. Il s'y trouvait au mieux car, disait-il, la paix régnait dans cette maison, où il était lui-même en bénédiction.Voici ce que diront ses hôtes à son sujet :

« A cette époque il usait rarement de viande, mais se nourrissait surtout de lait, de semoule et de légumes, buvant aussi du thé et parfois du café, en mangeant du pain au gingembre qu'il achetait souvent lui-même et qu'il partageait avec les enfants. Il s'abstenait de nourriture animale, car il pensait que l'habitude de mettre à mort des animaux pour en manger la chair ne s'accordait pas avec une conscience vraiment spirituelle ».

    Voici ce que dira aussi de lui le pasteur de la petite paroisse de Suède à Londres :

« Beaucoup de personnes croient que c'est un homme singulier et excentrique : il n'en est rien. Au contraire, il est très agréable dans ses relations, il accepte les conversations sur tous les sujets et entre volontiers dans les idées de ses interlocuteurs. Jamais il ne parle de ses idées ou de ses doctrines que lorsqu'on l'y invite et il le fait alors en toute liberté. Si les questions qu'on lui pose n'ont pas un but sérieux, il s'en aperçoit rapidement et d'un mot il met un terme à l'entretien ».

    Comme à l'accoutumée il mène à Londres une vie très active. En même temps que la rédaction d'un nouvel ouvrage, il fait traduire certains de ses livres en anglais. Il est alors souvent visité par ses plus proches amis et disciples, en particulier par le Rev Thomas Hartley et le Dr Messiter, un médecin suédois, qui sont à préparer une première traduction anglaise de son "Ciel et Enfer".

    Il est en train d'écrire une suite à son dernier ouvrage, très symboliquement intitulée : « Couronnement à la Vraie Religion Chrétienne ». En voici le titre original complet :

    « Couronnement ou appendice à la vraie religion chrétienne, dans lequel il s'agit des quatre Eglises de cette Terre depuis la création du monde ; de leurs périodes et de leur consommation. Puis de la nouvelle Eglise qui doit succéder à ces quatre Eglises, qui sera la future couronne des précédentes. De l'avènement du Seigneur en elle, et de son divin auspice en elle pour l'éternité : et enfin du mystère de la rédemption. Par Emmanuel Swedenborg, serviteur du Seigneur Jésus-Christ », 1771.

« Ces trois sujets, à savoir, la consommation du siècle, l'avènement du Seigneur, et la nouvelle Eglise ont été traités dans son dernier ouvrage, "Vraie Religion Chrétienne". Si une conti-nuation en est donnée dans ce qui suit, c'est parce que jusqu'à présent nul n'a connu ce qu'est la consommation du siècle.

De là il résulte que sans la connaissance de ces trois choses, la Parole est comme fermée, et il n'y a pour l'ouvrir nulle autre chose que ces connaissances, lesquelles sont comme des clés qui ouvrent la porte et introduisent. Quand cela a lieu pour la Parole, les trésors qui jusqu'alors y étaient cachés comme dans le fond de la mer se présentent à la vue, car au fond de la Parole il n'y a que des trésors. (...)

Dans cet "Appendice" ou "Continuation", je procéderai comme dans l'ouvrage précédent, par des sommaires placés en avant, qui seront confirmés par l'Ecriture et illustrés par la raison. »

    Le Dr Messiter, plus tard appelé à son chevet et considérant qu'il n'y avait plus d'espoir, emporte avec lui ce dernier manuscript constitué de 72 grandes pages. Swedenborg ayant par la suite retrouvé ses moyens et souhaitant probablement le terminer, en fut très contrarié. Le docteur ayant emporté son manuscrit, Swedenborg meurt avant d'avoir pu l'achever. De surcroît le Dr. Messiter perdra par mégarde une partie de ce document qui ne sera restitué et publié que quelques années plus tard.

    A la première moité de cet ouvrage incomplet, s'ajoute le projet d'un ultime traité en forme d'appel et dont on ne retrouvera qu'une esquisse, de 59 courts paragraphes, intitulée :

    « Invitation au monde chrétien entier à la nouvelle Eglise. », 1771.

    En voici quelques extraits significatifs, n'oublions pas qu'il ne s'agit ici que de courts sommaires :

« Les enseignements qui sont contenus dans la Vraie Religion Chrétienne concordent avec ceux de l'Eglise catholique et protestante, qui reconnaissent l'union personnelle dans le Christ.

Si la Réforme a eu lieu, ce fut uniquement afin que la Parole, qui gisait ensevelie, rentrât dans le monde. Elle avait été dans le monde depuis plusieurs siècles, mais enfin mise au tombeau par l'Eglise Romaine. Mais quand la Parole eut été retirée de son tombeau, le Seigneur put être clairement connu, la vérité y être puisée, et la conjonction avec le ciel avoir lieu.

Invitation à la nouvelle Eglise, afin qu'on aille au devant du Seigneur. Désormais on ne doit pas s'appeler Evangéliques, Réformés, encore moins Luthériens et Calvinistes, mais Chrétiens.

Cette Eglise a été instaurée et établie non par des miracles, mais par la révélation du sens spirituel, par l'introduction de mon esprit et en même temps de mon corps dans le monde spirituel, afin que je connusse ce que sont le Ciel et l'Enfer, et que je puisse puiser immédiatement dans la lumière procédant du Seigneur les vérités par lesquelles l'homme est conduit à la vie éternelle ».

   Cette invitation est très certainement le tout dernier écrit sorti de sa plume. Ces deux ouvrages, "Couronnement" et "Invitation", resteront en effet inachevés, car la veille de Noël 1771, Swedenborg est victime d'une attaque cérébrale. La moitié de son corps reste paralysée durant trois semaines et il a beaucoup de difficultés à s'exprimer. Il ne se nourrit plus, ne buvant qu'un peu d'eau et de thé. Il est en train de vivre, dira-il, l’une des plus terribles épreuves de sa vie, celle dira-t-il, d’être privé du don de vision spirituelle dont il bénéficiait depuis 27 ans. Il a le sentiment d'être comme irrémédiablement aveuglé et plonge dans un état de profonde dépression. Mais du plus profond de cette ténèbre intérieure, que tous les grands mystiques ont connue, se produit le miracle d'une étonnante rémission. Il retrouve toutes ses facultés, demeurant malgré tout très affaibli. Il ne voudra alors plus recevoir d'autre visite que celle de ses plus proches amis et collaborateurs.

    Adressant une lettre au célèbre fondateur des méthodistes, John Wesley, il écrit : « J'ai été informé dans le monde des esprits que vous aviez grande envie de me rencontrer, je serai donc charmé de vous recevoir ». Wesley d'autant plus étonné qu'il ne s'en était jamais confié à personne, lui confirme en effet l'intention qu'il avait de le rencontrer, lui répondant qu’il profitera donc de son invitation dès le retour de son prochain voyage qui devrait durer six mois. Swedenborg lui répond qu’en ce cas, ils ne se verraient pas en ce monde, devant lui-même passer dans le monde spirituel le 29 mars prochain !  

   Son hôtesse, Elizabeth Shearsmith, confirmera que Swedenborg lui avait effectivement annoncé, trois semaines auparavant, le jour exact de sa mort, d'un air aussi joyeux, dira-t-elle, que s'il allait se rendre à une partie de plaisir ou partir en vacances.

    Il entre, dans les dernières semaines avant sa mort, dans un état de paix et de ravissement intérieurs. Enfin le dimanche 29 mars 1772, au jour prédit et ayant réglé toutes ses affaires, il se retire dans sa chambre pour s’éteindre doucement à ce monde à l'âge vénérable de 84 ans.

« Le jour venu, Madame Shearsmith et sa servante sont assises à son chevet. Entendant sonner l'horloge, Swedenborg leur demande l'heure. « Cinq heures », lui répondent-elles. « Voilà qui est bon, dit-il, je vous remercie, Dieu vous bénisse ! » Il esquissa un petit geste amical et expira doucement. »

   C'est la fin d'un jour paisible et printanier, les cloches de Londres sonnent les vêpres, assourdissant la symphonie des oiseaux de Clerkenwell Green. Sur sa table est posé la plume avec laquelle il a tant écrit, à côté se trouve un feuillet inachevé intitulé : « Invitation à la nouvelle Eglise, adressé à tout le monde chrétien, et exhortation à tous les hommes à aller à la rencontre du Seigneur Jésus-Christ ».

    Les circonstances exceptionnelles de sa mort lui vaudront plus tard d'être surnommé par D.T. Susuki, grand spécialiste du Zen et de la tradition japonaise : "le Bouddha du Nord".

    Sa mort suscitera une grande émotion parmi tous ceux qui l'avaient connu et le jour de son inhumation, la petite église suédoise de Londres fut bondée d'une vaste foule en grand émoi. En accord avec la tradition en Suède, un grand dîner fut organisé après la cérémonie. Les discussions allaient bon train et un débat animé eut lieu au sujet des étranges visions du "baron de Swedenborg", ainsi surnommé par ses amis en Angleterre. Très vite une dispute éclata entre l'un de ses adeptes et un représentant du clergé, au sujet de la question de la communication avec les morts. L'assemblée était partagée entre deux positions opposées. D'une façon très symbolique cette scission préfigure parfaitement bien la façon dont l'oeuvre de Swedenborg sera accueillie par la suite. Pour beaucoup, l'homme de la Nouvelle Jérusalem est un visionnaire éclairé, bienveillant et sans danger, pour d'autres il représente une véritable menace pour l'Eglise établie. C'est d'ailleurs non sans un certain soulagement que ces derniers venaient d'enterrer le vieux savant, s'imaginant avec satisfaction que ses écrits disparaîtraient avec lui, dans la tombe.

    Lorsque Swedenborg quitte ce monde, la nouvelle foi n'existe encore que dans ses écrits et dans le coeur de quelques disciples disséminés un peu partout en Europe. Parmi ceux-ci, un des premiers et très fidèles disciples fut, sans nul doute, le Dr. Beyer. Cette rencontre initiale avait amorcé pour le pèlerin solitaire qu'il était, un tout nouveau cycle, placé sous le signe de la transmission de cette connaissance qu'il recevait du dedans ou d'en haut, à un cercle de disciples grandissant.

    Sa mort produira une véritable onde de choc dans tout le milieu de ses amis, de ses fidèles et de ses relations partout en Europe. Beaucoup réalisèrent tout à coup qu'un grand maître venait de se retirer, leur laissant en héritage une oeuvre unique et considérable. Un véritable big-bang se produisit alors. A partir de quelques partisans isolés, qui se constitueront bientôt en groupes et en associations divers, le mouvement swedenborgien va se développer très rapidement pour produire une riche arborescence.

   Il était impossible d'achever cette biographie sur le dernier souffle du maître, sans évoquer l'oeuvre de ces toutes premières générations de disciples. L'oeuvre de ceux qui l'avaient connu de son vivant, qui l'avaient entouré et auxquels il avait transmis le feu sacré, et tous ceux auxquels ces derniers ont fait passer le flambeau.

 

 

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